L’enquête de Caradisiac : 1000 kilomètres de nationale à la loupe
Le commerce de distribution de carburants a subi ces vingt dernières années des coupes sombres dans ses rangs. Si en 1980, il y avait en France 41 500 stations-service, dix années plus tard il n'y en avait plus que 24 500. Aujourd'hui, seulement un peu plus de 16500 points de vente sont encore en activité. Cette baisse spectaculaire (plus de 3 fermetures par jour en moyenne depuis 1980 !) est inquiétante car elle touche en priorité les pompistes indépendants. Ce sont eux qui ont subi de plein fouet l'arrivée des grandes surfaces dans le secteur de la distribution de l'essence. Aujourd'hui, sur les 16 690 stations-service qui peuplent le territoire français, 3 255 seulement sont la propriété de distributeurs indépendants, 9 190 portent les marques des sociétés pétrolières (ces établissements sont le plus souvent tenus par des mandataires gérants ou salariés des pétroliers, une infime partie demeure indépendants), les 4 245 restantes appartiennent à la grande distribution.
Les automates sauvent la mise
Fermetures de stations, faillites, cette évolution est regrettable. Mais au-delà de ces drames humains, c’est également la liberté de l’automobiliste qui est peut-être en jeu. C’était, en tout cas, l’inquiétude qui perçait dans un mail adressé à Caradisiac voilà quelques jours par un VRP, habitué à parcourir toutes les routes de France : «Je suis sur les routes 5 jours sur 7. Les clients que je démarche habitent le plus souvent à la campagne. Et bien, je peux vous dire que j’ai failli tomber en panne d’essence à plusieurs reprises. Il devient de plus en plus difficile de trouver des stations-service sur les routes nationales et départementales ». Deux jours plus tard, notre équipe de reporters prenait la route porte d’Orléans à 21 heures. Direction : le sud. Mais pas question de prendre l’autoroute. Pour marcher sur les traces de notre internaute, nous avons emprunté la nationale 20 jusqu’à Angoulême, puis retour sur Paris par la nationale 10.
Gare aux pannes mécaniques
Au total, près de 1000 kilomètres de bitume pour en avoir le cœur du net : risque-t-on réellement la panne d’essence en roulant de nuit sur ce parcours ? Pas question, pour nous, d’orchestrer un suspens de mauvais aloi : la réponse est non. Nous avons, en effet, dénombré sur notre itinéraire-test 101 stations-essence dans les deux sens de circulation, soit en moyenne de quoi faire le plein presque tous les dix kilomètres. Bien sûr, à quatre heures du matin, c’est une autre paires de manches et certains tronçons de routes sont moins bien pourvus. Exemple : toutes les stations qui se trouvent entre Châtellerault et Sainte-Maure de Touraine (environ 50 kilomètres), sont fermées. Mais il faut vraiment être distrait ou ne pas disposer de carte bleue pour tomber en panne. En moyenne, on retrouve, en effet, tous les 50 kilomètres une station ouverte 24h/24h ou disposant d’un automate. A noter : sur les 25 distributeurs de carburants ouverts la nuit, trois seulement portaient les enseignes de groupes pétroliers. Toutes les autres étaient des stations de grandes surfaces. C’est assurément l’autre enseignement de notre reportage : la confirmation de la disparition des pompistes indépendants. Sur 1000 kilomètres, nous avons croisé trois de ces dinosaures et bien sûr, ils étaient fermés. Bien sûr, vous ne risquez pas de tomber en panne d’essence sur les nationales 10 et 20. Mais si une panne mécanique survient en pleine nuit, ce ne sont pas les automates des grandes et moyennes surfaces qui viendront vous dépanner. Les petits pompistes, eux, jouaient aussi ce rôle de réparateur.
Notre enquête en chiffre
Notre parcours : |
1000 kilomètres sur les nationales 10 et 20 |
Stations-service : |
101 |
Stations-service ouvertes 24h/24h |
25 |
Enseignes de pétroliers : |
76 |
Enseignes de grandes surfaces : |
22 |
Sans enseigne : |
3 |
A vos mails
Amis internautes : vos témoignages sur le sujet de notre enquête nous intéressent. Nous ne pouvons bien évidemment pas tester l’ensemble du réseau national et départemental. Mais peut-être avez-vous connaissance de tronçons où la pénurie d’essence se fait ressentir, notamment de nuit. Si c’est le cas, faites le savoir à Caradisiac par mail. Nous donnerons suite à vos informations.
Bouleversements dans la distribution
C’est désormais une évidence et l’enquête de Caradisiac le confirme: en raison d'une concurrence accrue, les indépendants ne sont plus très nombreux dans le secteur du commerce de carburants. Explications. Tout d'abord, les grandes firmes pétrolières ont fait le tri dans leurs stations et n’ayant conservé que les plus rentables, de nombreux négociants ont pris leur retraite et n'ont pas été remplacés. Mais surtout, la concurrence très vive avec les grandes surfaces disposant d'une station a obligé beaucoup d’artisans, qui ne pouvaient pas lutter à armes égales, à mettre la clé sous la porte. La raison : pour offrir le prix le plus bas possible, la grande distribution n'hésite pas à vendre le carburant à prix coûtant. C’est implacable. Ces dernières, en ce qui concerne le volume de carburant vendu, se taillent la plus grande part du marché (53,3 % contre 46,7 % pour le réseau traditionnel dont 4,6 % pour les indépendants).
Le carburant à prix coûtant : l’arme fatale
L’essence à prix d’appel devient un produit qui ne sert qu’à attirer le chaland. Contrairement à la petite station-service qui n’a souvent que ses « pompes » pour vivre et qui doit donc les rentabiliser, la grande surface n’a pas forcément besoin de ce secteur pour assurer sa rentabilité. Généralement, elle transfère les frais généraux de la station (caissière, entretien, électricité...) sur le compte du libre-service. Ce tour de passe-passe comptable (qui est légal) lui permet de vendre l’essence ou le gazole à prix plancher. Une situation qui profite à l’automobiliste mais entraîne la fermetures de plusieurs centaines de stations traditionnelles chaque année. Même s'il peut recevoir l'aide du Comité Professionnel de la Distribution de Carburant (CPDC) créé en 1991 par le gouvernement pour soutenir les détaillants, le petit pompiste peine énormément face aux supermarchés et aux grandes marques pétrolières qui lui font payer le carburant au prix fort. Conséquence : la plupart des stations-service indépendantes vident leurs cuves et stoppent leurs activités.
Désertification des campagnes
La disparition des petits pompistes a créé un vide impossible à combler. Dans les campagnes françaises, il devient parfois difficile de trouver de quoi restaurer sa monture dès que l'on s'éloigne d'une agglomération, des routes nationales ou du ruban autoroutier. Cette crise a même peut-être contribué à la désertification des campagnes. En effet, une station-service qui ferme, c'est en moyenne trois emplois en moins et un lien social qui disparaît..
Les petits pompistes : acteur de la vie sociale
De plus, les automobilistes qui avaient l'habitude d'y faire le plein passent désormais leur chemin et les autres commerces (boulangerie, boucherie, épicerie...) qui pouvaient se trouver aux abords des distributeurs de carburants ressentent un manque à gagner. Il devient également difficile de trouver des stations ouvertes la nuit. Seules celles équipées d'un automate 24h/24h pourront vous venir en aide en rase campagne. On estime à plus de 3000 (sur toute la France) le nombre de stations ouvertes toute la nuit ou possédant un automate. Par contre, si la situation est problématique à la campagne, vous n'aurez aucun mal à faire le plein en agglomération ou sur l'autoroute : les grands groupes pétroliers y concentrent l'essentiel de leur activité de vente de carburants. Le trafic y est très important et les automobilistes sont contraints de s’y arrêter. C’est pourquoi, 399 stations-service appartenant aux grandes marques pétrolières, soit environ une tous les 50 kilomètres, se partagent le gâteau sur le grand ruban autoroutier.
Les autoroutes : la bonne affaire
Une station d'autoroute, c'est une véritable manne pour un pétrolier. Comme le marché est captif et que les grandes surfaces sont en dehors du coup, (seul Leclerc est représentée avec une station !) pas de raison de baisser les tarifs. Au contraire, c'est sur l'autoroute que se trouve les prix des carburants les plus élevés. Curieusement, il n’est pas rare que les stations affichent toutes des prix pratiquement identiques. De même, au moment des grands départs, l'ensemble des tarifs augmente souvent à l'unisson.
Ces tarifs prohibitifs ont même fait l'objet d'une étude par le Conseil de la concurrence. Il en ressort que la marge moyenne perçue par le pétrolier sur un litre de SP 95 est de 65 centimes sur l'autoroute. Ce chiffre est à rapporter aux 45cts/litre perçus en dehors du réseau autoroutier et des quelques 25 à 30cts/litre que s'accorde le commerçant indépendant... Mais il n'y a pas que sur le carburant que les stations-service d'autoroute font le plus de bénéfice. En effet, au rayon des marges juteuses, les produits vendus en boutiques sont de loin les plus intéressants. Comparativement à ce que l’on peut noter dans un supermarché classique, l'inflation sur certains produits atteint les 60 %.0 De 6 à 10 F la bouteille d'eau minérale (faut avoir soif !), 17 F la petite boîte de gâteaux, 15 F le sac de bonbons... De quoi laisser une bonne partie de son budget-voyage si l'on n'y prend pas garde. D'ailleurs, les pétroliers ont gagné plus d'argent l'année dernière en vendant des produits en boutiques qu'en distribuant du carburant...
Pétroliers contre grandes surfaces
Si l'autoroute est une bonne affaire pour les pétroliers, le reste du territoire n'en est pas une mauvaise. Les stations-services, qu'elles appartiennent à des indépendants ou à la grande distribution, doivent toutes se servir chez eux. C'est pourquoi les supermarchés vendent le même type de carburant (qui répond à une réglementation stricte) que celui des stations des pétroliers. Mais il y a quand même une petite différence, l'essence de supermarché ne contient pas d'additifs. C'est-à-dire qu'elle ne possède pas de produits anti-encrassement. Or, ces additifs ont une véritable utilité. Ils empêchent la dépose de gommes et de vernis dans le système d'alimentation, éléments qui vont encrasser les injecteurs et au fil du temps augmenteront la consommation et la pollution de votre moteur. Pour les gazoles, les produits vendus en grande surface n'ont pas d'additifs anti-mousse et il est plus difficile de faire le plein complet du réservoir.
La plus grosse différence entre grandes surfaces et stations traditionnelles se situe dans la qualité du service…lorsque le pompiste indépendant ou la marque fait bien son travail. Si la plupart du temps, vous vous trouvez dans une station libre-service (elles sont plus de 12 000 en France), vous n'aurez aucun mal à vous faire servir si vous le demandez expressément (à moins que le pompiste soit tout seul et qu'il gère une multitude de pompes). De plus, la station traditionnelle possède souvent un gonfleur pour les pneus. On vérifiera également votre niveau d'huile, on nettoiera votre pare-brise et vous pourrez même passer aux toilettes... Certaines marques font même leur publicité sur le service.
En grande surface, rien de tout cela. La plupart du temps, après avoir rempli votre réservoir, il ne vous restera plus qu'à payer votre dû à la caissière enfermée dans sa triste petite guérite.
Des tarifs toujours plus élevés
S’il est vrai qu’il existe une carence en matière de services dans les stations de grandes surfaces, il faut bien reconnaître que le carburant y est bien moins cher qu'ailleurs. Plusieurs raisons à cela : les grandes surfaces répercutent la plupart du temps les frais généraux sur les produits vendus en libre-service. Et, elles peuvent vendre de cette façon à prix coûtant le carburant qu'elles ont, en outre, acheté le plus souvent en très grande quantité directement sur le marché de Rotterdam (sans passer par un grossiste) à un prix très bas. A la pompe d'une station de grande surface, l'automobiliste se rend compte tout de suite qu'il est en train de faire une bonne affaire, les prix y sont généralement de 30 à 80 cts/l moins chers que dans une station traditionnelle. Ce qui a notamment été bon à prendre quand les prix grimpent.
Des perspectives peu réjouissantes
Heureusement, l'action conjuguée des pouvoirs publics et des pétroliers a permis un retour à la « normale » à la fin du mois de septembre. Qu'on ne se fasse pas trop d'illusions cependant : le prix du carburant ne descendra pas en flèche. Notamment parce que toutes les transactions pétrolières se font en dollar. Notre facture énergétique augmente et le prix à la pompe s’accommodent mal de cette monnaie forte. Par ailleurs, la TIPP (Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers) va désormais rester stable pendant un long moment. Enfin, si le prix du baril de brut s'est stabilisé à près de 30 dollars, rien ne dit que la bonne volonté affichée par les pays de l'OPEP va se poursuivre. Il faut également noter qu’avec les nouvelles normes antipollution des prochaines années, les pétroliers vont devoir baisser la teneur en souffre de leurs produits. Cette désulfuration qui se fera en raffinerie va avoir un coût qui devra, soyons-en sûr, être payé par l'automobiliste. Pas de quoi se réjouir...
Des conseils pour consommer moins
Pour éviter de payer trop cher à la pompe, une seule solution : faire des économies d'énergie. Chaque litre économisé, c’est quelques francs de gagné. Suivez nos conseils pour "chasser le Gaspi":
Faites vérifier votre allumage et votre carburation au moins une fois par an. Et n'oubliez pas de changer régulièrement votre filtre à air.
Utilisez avec parcimonie la climatisation, elle est grande consommatrice d'énergie et pour l'alimenter à l'arrêt, le régime moteur doit souvent augmenter (1000 tr/mn au lieu de 750 tr/mn).
N'entrebâillez pas vos fenêtres lorsque vous roulez.
Augmentez la pression de vos pneus (0,3 bars) : la résistance au roulement sera moindre.
Bannissez les barres de portage, le porte-vélos... Tout système qui augmente par ses proportions la traînée aérodynamique.
Evitez les sous-régimes, accélérez souplement, adoptez une conduite coulée.
Anticipez les accélérations, les dépassements et aussi les freinages.
Levez le pied de l'accélérateur dans les descentes. Attention ne vous mettez pas au point mort, c'est interdit et dangereux !
Utilisez votre ordinateur de bord s'il possède un calcul de consommation instantanée, il vous sera d'une aide précieuse pour consommer au plus juste.
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