Directeur du design Renault, Patrick le Quément est à l’origine de la majorité des Renault actuelles. De Twingo à Vel Satis en passant par Mégane II ou Espace, il est l’âme du design de la marque. Confidences d’un homme amoureux du dessin et du losange.
Caradisiac : A quand remonte votre passion de l’automobile ?
Patrick le Quément : Dès ma plus jeune enfance, j’ai été attiré par l’automobile. Habitant à Marseille, j’allais régulièrement avec mon père à Monaco, Nice et Cannes. Là, j’ai découvert des voitures extraordinaires comme les Ferrari, les Maserati, les Aston Martin.
Caradisiac : voir ses belles voitures vous a-t-il donné envie de les dessiner ?
Patrick le Quément : J’ai toujours été fasciné par le dessin. Je passais mes journées à dessiner, souvent les voitures que je contemplais. Mais enfant, j’imaginais, de façon un peu naïve, que les voitures étaient créées par des ingénieurs qui les esquissaient lors de leurs pauses. Beaucoup plus tard, j’ai pris conscience que l’on payait des gens pour dessiner des voitures. Un jour, dans un article de l’Auto-Journal sur Pininfarina, j’ai découvert que l’on pouvait en faire son métier. Ça été un déclic.
Caradisiac : quels étaient vos rapports à l’art à cette époque ?
Patrick le Quément : J’étais quelqu’un qui dessinait tout le temps. J’ai vécu une histoire semblable à celle de Guy Degrenne, qui a d’ailleurs été inventée par des publicitaires. Comme je dessinais en permanence des trains, des paquebots et des avions, je me suis donc souvent entendu dire : "si tu continues comme cela, tu ne feras rien de ta vie".
Caradisiac : quels conseils donneriez-vous à un jeune designer ?
Patrick le Quément : Tout d’abord il faut avoir une vraie passion pour l’automobile. Il faut savoir ensuite s’exprimer en dessin, ce qui signifie avoir une très grande compétence. Ça passe par des heures de travail, d’entraînement, mais aussi de plaisir. C’est exactement comme un musicien ; il est obligatoire de faire des gammes afin de s’améliorer. Par ailleurs, même si le designer est un métier solitaire, il faut savoir travailler en équipe. Enfin, au-delà de ces trois points, la notion essentielle est le talent car sans lui, on ne fait rien. Il faut prouver ce que l’on sait faire.
Caradisiac : vous recommanderiez des écoles aujourd’hui ?
Patrick le Quément : Dieu merci, depuis une dizaine d’années, il existe des écoles en France, on trouve notamment le State College à Issy les Moulineaux, qui est une école d’un niveau international et l’ENSAAMA (l’Ecole nationale supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d'Art). A l’étranger, il faut citer aux Etats-Unis, l’Art Center de Passadena, le CSS à Detroit, puis en Allemagne Pforzheim et enfin en Angleterre Coventry University et le Royal College of Art à Londres qui est la seule école à proposer un 3e cycle.
Caradisiac : Vous avez participé à la naissance de la plupart des modèles actuels, quel est celui qui vous a le plus marqué ?
Patrick le Quément : Difficile de répondre... C’est comme si l’on me demandait de choisir entre mes enfants. Néanmoins, il y a deux modèles importants à mes yeux. Il s’agit de Twingo et de Mégane II. Twingo est une histoire merveilleuse avec des crises et des moments de joie. Elle avait une frimousse qui était loin de plaire à tout le monde en interne. Il a fallu l’imposer. Je me souviens être parti réfléchir à Twingo dans le midi. J’ai envoyé un message à Raymond Levy (NDLR, ex-président de Renault) en lui disant que le plus grand risque pour une entreprise était de ne pas en prendre et je lui demandais de voter en faveur d’un design instinctif plutôt qu’un marketing extinctif. Il m’a renvoyé la note en me donnant son accord. Twingo allait naître. Ensuite Mégane II car c’est un modèle réfléchi qui est aussi la première voiture à très grande diffusion vendue avec notre nouveau design, un design vif très bien accepté.
Caradisiac : A quoi va ressembler la Renault de demain ?
Patrick le Quément : Nous avons une réflexion qui est basée sur les véhicules programmés (2004-2005) et une autre plus poussée afin d’essayer de définir la voiture de 2010-2012. On évalue avec précision ce qui est très proche et l’on a une vision plus floue du lointain. On tente donc de prendre des grandes orientations tout en ne négligeant pas le côté économique. C’est très pragmatique.
Caradisiac : vous êtes à la tête du Design Renault depuis 1987, si vous deviez changer de marque, quel est constructeur qui vous attirerait le plus ?
Patrick le Quément : Il y a deux ou trois ans, j’étais un admirateur d’Audi mais ce n’est plus le cas aujourd’hui et c’est vrai pour la plupart des designers. On est impressionné par l’Alfa Romeo 156, mais un modèle ne fait pas une gamme. De nos jours, il n’y a pas de modèle parfait car il est essentiel à la création de se renouveler, d’avoir une vision du court, du moyen et du long terme, ainsi que de posséder une stratégie. Mais, je ne vois cela chez aucun constructeur actuellement.
D’autres part, l’idée de quitter Renault n’est pas concevable car mon lien avec "cette maison" est "définitif". Avant de travailler chez Renault, j’avais postulé 11 fois, c’est pour dire mon attachement à ce constructeur !
Caradisiac : quelle a été votre 1ère voiture ? En gardez-vous un bon souvenir ?
Patrick le Quément : J’avais une vieille 2 CV et j’en ai gardé un très bon souvenir. Quand j’étais en Angleterre, je roulais dans une petite fourgonnette qui avait beaucoup de caractères car elle ne démarrait pas tous les jours, mais j’étais tellement séduit par la mobilité que j’en étais assez content finalement. Pour avoir une voiture de caractère, il a fallu que j’attende un peu plus de temps.
Caradisiac : et celles de votre père ?
Patrick le Quément : il en a eu plusieurs, notamment une Hudson Terraplane, des Peugeot et des voitures intéressantes comme une Licorne qui était une Citroën avec une carrosserie en aluminium.
Caradisiac : quelle est votre voiture actuellement ?
Patrick le Quément : J’ai une Vel Satis, ma femme dispose pour sa part d’une Mégane II et puis j’ai une voiture de collection qui n’est pas de la marque. C’est un amour illégitime, il s’agit d’une Ferrari 328 GTB, performante et agréable.
Caradisiac : la femme occupe un rôle croissant dans l’achat de la voiture, que pense la vôtre de vos créations ?
Patrick le Quément : Certaines créations l’enthousiasment et elle accepte mal que l’on me critique. Si un de ses amis n’apprécie pas la dernière Renault, elle n’hésitera pas à vanter au contraire son design et lui prouvera son originalité.
Caradisiac : Franco Sbarro a préféré rester indépendant, auriez-vous aimé concevoir une voiture de A à Z
Patrick le Quément : Pas vraiment. Je préfère m’occuper du Design Renault avec 350 personnes sous mes ordres et plusieurs lieux de fabrication. Je ne pense pas que je serais performant en tout. Sbarro n’a pas le plaisir de voir ses voitures quotidiennement dans la rue. Mégane II est par exemple une vraie satisfaction car c’est la concrétisation de toute une histoire.
Enfin, je ne pense pas être un bon commerçant ni même un excellent manufacturier.
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