80 km/h : pourquoi la promesse d'arrêter si ça ne marche pas ne sera jamais tenue
"Si ça ne marche pas, on ne continuera pas". Telle est la promesse d'Emmanuel Macron à propos des 80 km/h. Un bilan sera fait en juillet 2020 : si la mesure n'a pas été efficace, elle sera abandonnée. Mais on sait déjà que l'État ne reviendra jamais en arrière !
Les recours déposés contre le décret ne devraient rien n'y changer, à partir de dimanche prochain, la vitesse sera limitée à 80 km/h sur les routes départementales et nationales en deux fois une voie sans séparateur central. Une idée souhaitée et défendue jusqu'au bout par le Premier Ministre Édouard Philippe, dont le passage en force aurait agacé du côté de l'Élysée, la mesure étant sans surprise très impopulaire.
Emmanuel Macron s'est d'ailleurs tenu à distance et très peu exprimé sur le sujet. Une des rares fois où il a pris la parole à propos des 80 km/h, c'est en avril, lors de son interview dans le JT de 13h de TF1. Face à Jean-Pierre Pernaut, il a utilisé une formulation ingénieuse pour faire passer la pilule, il a qualifié la mesure d'expérimentation nationale de deux ans. Et il a été clair "si ça ne marche pas, on ne continuera pas ".
Rien d'inédit, car dès l'annonce officielle de la mesure, en janvier, Édouard Philippe promettait un bilan au bout de deux ans, soit en juillet 2020, avec retour en arrière si cela n'a pas été efficace, donc si la mortalité n'a pas baissé. Les mots du chef de l'État ont eu le mérite d'être plus clairs… et d'être une autre formule publicitaire. Mais nous ne sommes pas dupes. Les chances d'un retour aux 90 km/h sont quasiment inexistantes. Voici pourquoi.
Un objectif de moins en moins ambitieux
Édouard Philippe et la Sécurité Routière le martèlent depuis six mois, la mesure est faite pour sauver des vies. Afin de convaincre, il faut donner un chiffre. Mais l'objectif visé est de plus en plus faible. Forcément, cela facilite les chances de l'atteindre. Lorsque le projet a commencé à se préciser, on nous rappelait la donnée mise en avant depuis plusieurs années par les associations favorables à l'abaissement de la vitesse, 400 vies épargnées par an. Puis dans le dossier de presse officiel en janvier, c'était entre 300 et 400 vies. Et depuis quelques semaines, le Premier Ministre parle surtout de 300 morts en moins. Bientôt ce sera entre 200 et 300 ?
La moindre baisse sera suffisante
Le gouvernement peut déjà se défendre en disant que la promesse de sauver environ 300 vies par an garde une forme de conditionnel. C'est un objectif idéal mais la mortalité pourrait baisser dans de plus faibles proportions. À n’en pas douter, s'il y a une baisse, même petite, ce sera suffisant pour continuer. On nous dira que rouler moins vite a eu ses effets, que chaque vie sauvée est une petite victoire, et qu'il serait idiot de revenir en arrière.
La mesure intervient à un moment statistique stratégique
Après avoir baissé pendant de longues années, la mortalité routière était repartie à la hausse entre 2014 et 2017. Forcément, après une période d'augmentation, il est plus probable d'avoir une baisse. Celle-ci a même déjà commencé. De janvier à mai, il y a eu sur les routes françaises 1 234 décès, soit 71 de moins par rapport aux cinq premiers mois de 2017.
On doute déjà de la méthode du bilan en 2020
Peut-on avoir confiance à l'évaluation promise dans deux ans ? Pas vraiment, pour deux raisons. Déjà, on a en tête la façon douteuse dont a été fait le bilan des premières expérimentations des 80 km/h, entre 2015 et 2017 : les effets sur l'accidentalité ont été présentés de manière incomplète et alambiquée. Ensuite, pour la période 2018-2020, si baisse il y a, ses raisons seront-elles vraiment analysées comme il le faut ? Le facteur 80 km/h sera-t-il isolé pour voir son impact réel ? On en doute déjà.
La réduction de la mortalité routière passe d'ailleurs par des mesures punitives mais aussi par le progrès technique. Or, on a vu dans les communications récentes que la sécurité routière avait une fâcheuse tendance à minimiser cet aspect. Et celui-ci va compter dans les années à venir, d'autant que la prime à la casse et le contrôle technique renforcé font sortir de la circulation des modèles dangereux, bien souvent remplacés par des véhicules avec quatre airbags et ESP de série.
D'autres facteurs seront pointés du doigt
Si la baisse n'est pas au niveau des espérances ou si la mortalité a augmenté, d'autres facteurs seront mis en cause. Il y a bien sûr l'alcool au volant, deuxième cause d'accident, mais dont la lutte n'a pas été renforcée ces dernières années, l'État ne voulant pas toucher aux seuils actuels pour ne pas froisser le secteur. Et on pense à l'usage du téléphone portable au volant, pratique qui entraîne une augmentation des accidents par inattention.
Cela coûte de l'argent
Le passage de 90 à 80 km/h est à l'origine d'une belle facture. Il y a déjà le changement des panneaux. L'État chiffre cette partie entre 6 et 12 millions d'euros. Il y a ensuite toute la communication. La Sécurité Routière a commencé à faire de la publicité dans la presse régionale au début du printemps. On peut voir depuis quelques jours un spot à la télévision. Puis des flyers seront distribués par les forces de l'ordre. La partie pub représente aussi plusieurs millions d'euros. On voit donc mal l'État faire marche arrière dans deux ans et redépenser des sous. Surtout, cela reviendrait à dire qu'une somme conséquente a été investie en 2018 pour rien.
L'argument écolo prendra le dessus
Si la mortalité n'a pas vraiment baissé dans deux ans, l'État misera sur un autre aspect, qu'il évoque déjà aujourd'hui, l'écologie. Rouler un peu moins vite, c'est selon lui utiliser moins de carburant et donc moins polluer. Et l'environnement est un sujet qui ne peut que prendre de l'importance avec les années qui passent.
L'État ne sait pas augmenter les vitesses
Faire rouler les Français plus vite, voilà une notion inimaginable pour nos dirigeants. Depuis la mise en place des limitations de vitesse, aucune n'a jamais été revue à la hausse de manière générale. Pourtant, là aussi on pourrait bien faire une expérimentation nationale. On pense notamment aux autoroutes. Pourquoi ne pas tester les 140 km/h sur un réseau réputé très peu mortel et où les accidents sont avant tout causés par la somnolence ? Mais c'est tout bonnement impensable chez nous.
L'habitude suffira
C'est d'ailleurs l'argument suffisant pour se dire que c'en est définitivement fini des 90 km/h. La période de deux ans servira à créer une nouvelle habitude, qui poussera le gouvernement à ne rien changer en 2020. Celui-ci peut d'ailleurs déjà se dire que les choses passeront facilement car la fronde n'a pas vraiment été massive au printemps 2018. Les automobilistes français ont donc un côté résigné, prêts à tout accepter.
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