Voitures-radar "privées" illégales ? L'Intérieur ne répond pas…
Si même en interne, les experts juridiques de Beauvau jugent douteuse la légalité de la privatisation de la conduite des voitures-radar, et déconseillent de se lancer dans un tel processus, comment peut-on malgré tout en arriver à la mise en place effective de cette "externalisation" ? Ni le ministre de l'Intérieur, ni le délégué à la Sécurité routière ne répondent pour l'instant à la question.
Invité de RTL ce mercredi matin, Gérard Collomb a livré des explications pour le moins incompréhensibles (vers la 12e minute de l'interview) pour tenter de justifier le contenu de la note interne révélée par Le Canard enchaîné sur la légalité douteuse de la privatisation de la conduite des voitures-radar. "Si vous voulez parler de l'expérimentation qu'on a faite (…), après il faut voir effectivement si elle est généralisable à tout le territoire", lance, complètement à côté de la plaque, le ministre de l'Intérieur.
Car, il ne s'agit aucunement de cela, comme le lui fait remarquer la journaliste Elizabeth Martichoux qui l'interroge (cf. l'interview ci-dessous après la 12e minute, à 12:12 plus précisément). Non, la question, c'est en substance : "vous avez mis en service les premiers véhicules avec radar conduits par un opérateur privé, alors que vos experts juridiques considèrent que c'est illégal, comment est-ce possible ?" Mais la réponse à cette question apparemment attendra…
Il est à rappeler que le ministère de l’Intérieur a pourtant bien communiqué sur le lancement effectif de cette "externalisation". Officiellement, cinq voitures-radar, avec chacune à leur bord un seul chauffeur, en lieu et place des deux gendarmes ou des deux policiers normalement présents, contrôlent de manière effective, depuis le 23 avril dernier, les usagers sur les routes de Normandie. Ces chauffeurs sont employés par la société Mobiom, le nouveau nom du groupe Challancin, spécialisé dans le gardiennage et le nettoyage, qui a remporté le premier marché public lancé sur ce créneau. Et si expérimentation il y a eu, celle-ci est aujourd'hui terminée !
Voici notamment ce que l’on peut lire dans le communiqué de Beauvau (à retrouver sous format PDF à la fin de cet article) :
- "La circulation de ces véhicules sur les routes de Normandie avec envoi d’avis de contravention débutera à partir du lundi 23 avril 2018."
- "Après une présentation à la presse le 24 février 2017 à Évreux, une expérimentation des voitures-radar à la conduite externalisée a été menée pendant plusieurs mois sur les routes normandes. 50 000 kilomètres ont été parcourus avec les prototypes sur 900 heures de roulage. Ces essais pratiqués dans l’Eure et la Seine-Maritime ont abouti à l’homologation du système".
- "À terme, tout le parc de voitures-radar, actuellement conduites par deux policiers ou gendarmes, seront transformées (sic) en mode 'conduite externalisée'. Après la Normandie, un deuxième marché sera lancé prochainement pour l’équipement d’une ou plusieurs régions. Le territoire métropolitain sera intégralement équipé d’ici à 2020."
En d'autres termes, l'expérimentation, c'en est fini, place à la généralisation de l'externalisation d'ici à 2020 ! Ce qu'ignore apparemment Gérard Collomb, le ministre pourtant en charge de la politique en matière de Sécurité routière…
Les voitures-radar "privatisées" flashent officiellement pour de bon !
Le Canard enchaîné n'a eu guère plus de réussite pour comprendre comment Beauvau avait bien pu valider une telle évolution après les mises en garde de sa Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), le service qui fait à la fois office d'expert et d'assistant juridiques auprès du ministère, auteur de la fameuse note du 30 mars 2017. L'ancien ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, sous lequel ce projet d'externalisation a été décidé, et qui était même encore Premier ministre à l'époque de la note, sollicité par le journal, a tout simplement "botté en touche".
Quant au délégué à la Sécurité routière, il a préféré donner "une réponse en cette langue de bois dont fait les flûtes". C'est-à-dire ? À propos de l'appel d'offres pour choisir l'entreprise qui fournirait les chauffeurs, lancé seulement 20 jours après la missive de la DLPAJ, Emmanuel Barbe a rétorqué au Canard que ce marché public avait "suivi un processus itératif aux échelons ministériel et interministériel permettant d’assurer la légalité à la fois de la passation du marché et bien évidemment des opérations qui [seraient] organisées grâce à son exécution". En clair, circulez, y a rien qui cloche !
Il se trouve que peu de temps avant cette note, le 24 février 2017, en marge de la présentation des nouvelles voitures-radar à Évreux, par la Sécurité routière, Caradisiac avait eu l'occasion d'interroger le délégué sur la légalité de cette privatisation (voir notre vidéo, ci-dessous)… Et à l'époque, il nous avait assuré que rien ne serait fait si un quelconque risque subsistait. Si "le planning, c'est d'arriver à être prêt début septembre [2017] (...), on ne le fera que si on est certain que le système ne présente aucune faille. C'est un point qui est fondamental pour moi : je suis magistrat, on fait de la procédure pénale, on constate des infractions pénales, et donc il faut que le système soit absolument inattaquable"… De quoi se montrer convaincant !
Mais alors si Emmanuel Barbe n'est pour rien dans cette prise de décision, qui est bien responsable d'un tel arbitrage ? Le mystère reste entier…
Pour retrouver toutes les questions posées à Monsieur Barbe ce 24 février 2017, à bord d'une voiture-radar, c'est en cliquant ici : Interview exclusive – Voitures-radar conduites par des privés : le ministère répond à nos questions (vidéo)
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