Radars - PV : les recettes vérolées par le Covid
Après le record de 2017, le chiffre d'affaires du système du contrôle automatisé, comme de la répression routière en général, ne cesse de reculer. La faute au Coronavirus, après les gilets jaunes ? La Cour des Comptes s'interroge sur les véritables raisons de cette évolution. Ce dont elle est certaine, c'est que la gestion du pactole routier - tronquée et illisible - est à revoir de fond en comble.
Les amendes routières, dans leur ensemble, ont rapporté 25 % de moins que prévu en 2020, rapporte mardi la Cour des Comptes dans son analyse budgétaire qu’elle dresse chaque année sur le Compte d’affectation spéciale (CAS) relatif au « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ». Ce dernier correspond au compte budgétaire de l’État qui retrace théoriquement l’ensemble des recettes issues de la verbalisation des infractions routières et ses dépenses.
En 2020, le gouvernement a alors encaissé 1 387 millions d’euros, grâce aux recettes issues des PV routiers, contre 1 837 millions attendus. Sans surprise, l’impact de la crise sanitaire est jugé important. « La baisse du trafic routier liée aux périodes de confinement et au développement du télétravail apparaissent comme les causes premières de ce constat, même s’il n’est pas possible d’en mesurer précisément l’impact », relève la Cour.
Les recettes en millions d'euros (M€)
Année |
Radars* (ce qui était prévu) |
Autres PV** |
Total |
2020 |
553 M€ (729 M€) |
834 M€ |
1 387 M€ |
2019 |
561 M€ (1 036 M€) |
1 088 M€ |
1 649 M€ |
2018 |
629 M€ (928 M€) |
1 122 M€ |
1 751 M€ |
2017 |
825 M€ (844 M€) |
1 153 M€ |
1 978 M€ |
* Seules les amendes forfaitaires (celles payées dans les délais) sont comptabilisées. ** Il s’agit principalement des procès-verbaux électroniques (PVe) et des amendes forfaitaires majorées (AFM), quand les amendes sont réglées hors délai, y compris celles des radars. Selon les publications budgétaires annuelles
Pour ce qui est des seuls radars, le produit des amendes forfaitaires est à peine plus élevé que celui enregistré en 2011, avec 553 millions d’euros, et alors que le gouvernement en espérait 729 millions d’euros (-24 %). Depuis l’année record de 2017 (825 M€ de recettes), c’est bien simple, il ne cesse de dégringoler ! À croire que les radars ne font plus recette. Il faut dire que le contexte de ces dernières années est relativement exceptionnel, avec bien évidemment la crise Covid en 2020, et un vandalisme sans précédente attribué au mouvement des gilets jaunes en 2018 et 2019. Un vandalisme qui soit dit en passant serait en phase de totale résorption…
Les automates détruits en 2018-2019 réparés en 2020
Le remplacement des dispositifs vandalisés « est désormais en phase d’achèvement », dixit la Cour. Tous les radars fixes détruits sur des routes départementales ont été par exemple remplacés au 31 décembre 2020, et la majorité de ceux implantés sur autoroutes - 126 des 171 concernés – l’a également été. Selon les données récupérées par la Cour des Comptes, les photos noires transmises par un radar dégradé en 2020 ne représenteraient plus que « 3 % de dossiers (…) contre 13 % en 2019 ».
Maintenant, il reste des indicateurs en deçà des objectifs fixés, la baisse de trafic liée aux confinements de mars et de l’automne n’expliquerait donc pas tout. Même s’il progresse par rapport aux deux années précédentes, le taux de disponibilité des radars atteint au mieux les 86 %, alors que les prévisions le donnaient à 93 %. Le parc de radars est, lui aussi, moins dense que prévu : 4 224 appareils étaient déployés au 31 décembre contre 4 400 programmés. De là à envisager un retour à de meilleurs rendements à partir du moment où tous ces paramètres seront au vert ? Ce n’est pas si évident…
Des conducteurs plus respectueux ?
« À supposer que les années 2018-2020, exceptionnelles, ne dessinent pas une trajectoire, les recettes des amendes radar restent (…) susceptibles d’être affectées sur le long terme par les transformations des modes de travail (télétravail) et des déplacements (augmentation des transports en commun, développement des usages de déplacement non motorisés…) », avance la Cour des Comptes. Elle n’exclut pas non plus « l’hypothèse d’un changement de comportement des conducteurs », comme elle l’avait déjà soulevée dans ces analyses précédentes.
Là aussi, il existe des marqueurs qui pourraient le faire penser, comme la tendance à la baisse des contraventions pour les véhicules d’entreprise, depuis l’instauration de l’obligation d’identifier le conducteur responsable de l’infraction. Il y a aussi l’évolution de la vitesse moyenne des véhicules de tourisme. « Celle-ci s’élevait à 78,3 km/h en 2019 alors qu’elle approchait les 81 km/h en 2017 », lit-on dans ce dernier rapport.
Sans parler des financements qui dépendent de ces recettes radars et que cette orientation à la baisse fragilise forcément, si l’on s’en tient à la seule observation de combien les radars rapportent (553 M€) et combien ils coûtent (316 M€), ce qui comprend l’achat de nouveaux équipements, leur déploiement et leur entretien, avec tout ce dont ils ont besoin pour tourner (logiciels, fichiers, personnels), le système apparaît toujours, de ce point de vue là, rentable, même s’il l’est donc moins qu’avant. Sans prendre en compte les amendes forfaitaires majorées (quand les contraventions ne sont pas réglées dans les délais), le solde demeure ainsi positif de plus de 230 millions d’euros.
Des voitures radars décidément problématiques…
Et encore… À lire la Cour des Comptes, on comprend que les choix politiques en matière de sécurité routière ne sont pas toujours des plus judicieux en termes financiers. Serait-ce d'ailleurs si critiquable si ces choix se révélaient efficaces ? Toujours est-il que la diversification et la modernisation du parc de radars induisent un coût de maintenance repéré en hausse. Certes, celui-ci augmente essentiellement en raison du vandalisme subi en 2018 et 2019, mais pas seulement… Pour la Cour, « certains équipements ou modes de contrôles plus récents présentent un coût de maintenance plus élevé que la moyenne des équipements de contrôle, ce qui doit appeler à la vigilance. »
Et là, surprise ! Ce n’est pas les nouveaux radars tourelles, dont on nous dit qu’ils sont super sophistiqués, et qui ont été particulièrement visés par les actes de vandalisme de ces dernières années, qui coûtent le plus cher à entretenir… Ce sont les voitures radars ! Leur externalisation à des entreprises privées entrainerait-elle des pannes à répétition ? Le rapport de la Cour des Comptes n'avance aucune explication. Vu les piètres performances qu'elles présenteraient, selon les statistiques confidentielles que Caradisiac s'est récemment procurées, il y a de quoi s'interroger sur la logique du gouvernement et sa persistance dans cette voie.
À l’inverse, tout en bas de la liste, s’affichent en tout cas les radars mobiles qui leur ressemblent le plus, c’est-à-dire ceux embarqués dans des voitures banalisées toujours gérés par la police et la gendarmerie. Le coût de maintenance annuel de ces derniers est ainsi presque 20 fois inférieur, à quelque 1 500 euros, selon le tableau transmis par la Délégation à la Sécurité routière (DSR).
Le coût annuel de la maintenance par type de radars
Type de radars |
Coût annuel |
Voitures radars |
30 693,06 € |
Chantiers |
26 506,02 € |
Vitesse moyenne |
13 157,89 € |
Discriminants |
11 008,39 € |
Feux rouges |
4 458,59 € |
Tourelles |
3 778,33 € |
Fixes |
3 636,36 € |
Passages à niveau |
2 631,57 € |
Mobiles (embarqués) |
1 596,81 € |
Pédagogiques |
455,06 € |
Selon la DSR
Le beau bordel des PV dans les comptes de l'État !
Pour ce qui est des autres infractions, non repérées par les radars automatiques, les observations de la Cour sont relativement similaires. L’impact des confinements sur le trafic routier et l’économie concerne aussi le nombre d’amendes émises par procès-verbal électronique (Pve), « compte tenu d’un nombre sans doute moins élevé de situations d’infractions et d’une disponibilité moins importante des forces de sécurité intérieures pour ce type de contrôles. »
On découvre que la crise Covid a surtout provoqué une belle pagaille au sein de ce Compte d’affectation spéciale (CAS) « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » ! Car les PV créés pour le non-respect des règles sanitaires (port du masque, règles de confinement) ont tout simplement été, eux aussi, versés dans ce CAS normalement réservé aux amendes routières. C'est en tout cas ce qui s'est passé dans un premier temps, avant qu'ils ne soient récupérés et déversés ailleurs dans le budget de l'État. Or, ces PV représentent quand même 14 % des PVe dressés l’an dernier !
Des chiens dangereux à l'usage de stupéfiants…
D’ailleurs, la Cour des Comptes s’inquiète de la diversification des infractions et des verbalisations par PVe. « De manière marginale », explique-t-elle, le CAS récupère d'autres amendes sans aucun lien avec la sécurité routière, comme celles qui découlent des PV dressés à l’encontre des promeneurs de chiens sans laisse ou en cas d’occupation de halls d’immeuble ou encore d’installation illégale sur un terrain… Jusqu'à maintenant, cependant, cela représentait une part assez faible des PVe : 0,3 % en 2017, 2 % en 2019.
Le problème, craint la Cour, c'est donc que cette part augmente avec la diversification des amendes, comme les amendes forfaitaires délictuelles (AFD). Là, où on a davantage de difficulté à la suivre, c'est quand elle inclut les infractions créées par la loi Mobilités qui ouvre la voie à l’usage des radars pour sanctionner l’usage des voies réservées ou le respect des zones à faible émission (ZFE). Pour le coup, ces règles font pourtant bien partie de celles à respecter dans le Code de la Route, notamment aux articles R411-19-1 et R318-2. Les concernant, on ne voit donc pas vraiment le problème à les intégrer aux PV routiers…
À noter que, quelles que soient les infractions relevées par les radars comme par PVe, le coût de leur traitement ne cesse de diminuer. Il est même « en forte baisse », insiste la Cour, ce qui « résulte de la baisse des prix obtenue lors du renouvellement du marché d’éditique et de mise sous pli et du développement de la dématérialisation. » Par rapport à 2019, le coût unitaire d’un avis de contravention issu des radars « est en baisse de 40 % passant de 0,66 € à 0,39 € sur 2020 », tandis que celui des PVe « est en baisse de 21 % (…), passant de 0,23 € à 0,18 €. »
Un compte budgétaire bientôt supprimé ?
Plus globalement, la Cour des Comptes ne s’en montre pas moins très critique, comme chaque année, à l’égard de cette gestion et de ce Compte d’affectation spéciale (CAS), dont elle réclame désormais la suppression. Alors que ce CAS doit pour rappel établir normalement toutes les recettes et toutes les dépenses liées à la Sécurité routière, il n’en présente toujours qu’une partie, et ce, de manière non seulement tronquée mais aussi complètement illisible. Pour preuve, il n’y a qu’à regarder le schéma du circuit de ces amendes routières que la Cour reproduit dans son analyse (et à retrouver ci-dessous).
Les recettes « ne sont pas toutes en lien avec la sécurité routière », remarque une fois de plus la Cour. Sur les 1 387 millions d’euros récoltés en 2020, seuls 72 % sont en fait affectés à ce compte, et en plus, là-dessus, il y a 38 % des dépenses - au minimum ! – qui sont « sans rapport avec la politique de sécurité routière ». La faute à cette part réservée au désendettement de l’État (586 M€ finalement ramenés à 342 M€ en 2020)…
Dans le détail, ces dépenses n’ayant rien à voir avec cette politique pourraient même être bien plus importantes, puisqu’il reste difficile de retracer ce que font les collectivités territoriales avec les sommes qui leur sont chaque année versées (404 M€ en 2020) et qui doivent normalement correspondre à des contributions pour l’équipement en transports en commun et en matière de sécurité routière. Comme le répète la Cour, l’usage des crédits par les communes de plus de 10 000 habitants, ce qui représente tout de même « plus de 80 % » de ces sommes, reste tout simplement inconnu, malgré certains efforts et présentation d’exemples en annexe.
Pour autant, il ne faudrait pas croire comme le laisse penser la mauvaise lisibilité de ce CAS que les dépenses en matière de sécurité routière sont inférieures aux recettes perçues par la répression routière. Si l’on s’en tient à d’autres documents budgétaires, en particulier le document de politique transversale « Sécurité routière », ces 1 387 millions d’euros de recettes « ne représentent en effet que moins d’un tiers des dépenses », lesquelles sont évaluées « à 3 728 M€ en 2020 », recadre la Cour. À cela, il pourra toujours être rétorqué que toute l'économie générée par le permis de conduire et la circulation routière, comprenant bien d'autres recettes et certainement aussi d'autres dépenses, n'est pas là non plus représentée…
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