Quand Octave Mirbeau donnait comme titre à son livre son propre numéro d'immatriculation
C'est un OVNI littéraire et pour son auteur, Octave Mirbeau, le récit de son long voyage en voiture, ne pouvait avoir d'autre titre que les numéros de la plaque d'immatriculation de celle-ci. Paru en 1908, le livre s'appelle tout simplement La 628 E8 et c'est un mélange des genres, entre ragots, poésie dédiée à la liberté et ode à l'automobile.
C'était un surréaliste avant l'heure. Journaliste, polémiste, écrivain à succès, Octave Mirbeau a survolé la fin du XIXe siècle et le début du XXe avec une fascination pour la révolution industrielle en général et l'automobile en particulier. Aussi, en 1907, l'auteur du Journal d'une femme de chambre entreprend un voyage à bord de sa voiture, une CGV (Charron, Girardot et Voigt) immatriculée 628 E8, on était loin alors de nos plaques européennes.
Accompagné de son fidèle chauffeur et mécanicien Brossette, son voyage doit le mener, via le nord de la France, vers l'Allemagne, dans un périple destiné à célébrer l'amitié franco-allemande, sept ans avant que n'éclate le premier conflit mondial. Mais pour Mirbeau, l'auto n'est pas qu'un symbole de paix et une simple prouesse technique. Il ne roule pas en voiture, il "pratique l'automobilisme", comme on pratiquerait le nautisme. Il voit dans cette pratique, l'inverse de l'immobilisme. Grâce à elle, l'écrivain s'affranchit des horaires et de toutes les contraintes.
Durant tout son parcours, Mirbeau écrit, évidemment, mais sait-il lui-même quelle est la direction que prend sa plume ? Il s'autorise toutes les digressions. Ainsi, en arrivant dans le Nord de la France, il évoque Louis XIV. Quelque temps plus tard et sans aucune raison, il raconte l'agonie de Balzac, et explique que pendant que le génie littéraire se mourrait, sa compagne folâtrait avec son amant.
Un parfum de scandale derrière la plaque d'immatriculation
De retour à Paris, Mirbeau rassemble ses notes pour en faire un livre. Mais comment appeler cet ouvrage qui n'est pas un reportage, pas vraiment un récit de voyage et encore moins un roman ? Sauf que s'il ne suit pas une narration précise, le livre a au moins un personnage principal : la voiture. Elle n'a pas de nom, mais une immatriculation. L'ouvrage de Mirbeau s'appellera tout simplement La 628 E8. Il s'ouvre sur une préface dédicacée à Fernand Charron, l'un des concepteurs de son auto, ou il lui explique que sa voiture n'en est pas vraiment une, mais qu'elle est une "fabuleuse licorne".
La 628 E8 sort en 1908 et immédiatement le scandale éclate, non pas à cause de son genre littéraire qui oscille entre l'absurde et le journal intime, mais en raison des quelques pages sur Balzac. La fille de sa veuve obtient du tribunal que cette partie qui parle des errements de sa mère soient retirée. La 628 E8 est donc allégée d'une quarantaine de pages. Il n'en reste pas moins 416 autres pour célébrer les réjouissance d'un autre temps. celles du temps de la liberté automobile.
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