Pourquoi les constructeurs s'intéressent-ils tant à la politique ?
Les prochaines échéances électorales, européennes et américaines, sont scrutées de près par l'industrie automobile. Son avenir est peut-être lié aux choix des électeurs lors des consultations de juin dans l'Union, et de novembre aux États-Unis. Explications.
Les industriels de l’automobile deviendraient-ils rocardiens ? En tout cas, ils semblent méditer la phrase que livrait l’ex premier ministre de François Mitterrand en 2012 : « si vous ne vous occupez pas de politique, c’est elle s’occupera de vous ». Alors, plus que jamais, les constructeurs ont les yeux rivés sur les sondages et les échéances électorales à venir, en Europe, comme aux États-Unis.
Le RN ne veut pas de voitures électriques ...
Car ils nourrissent une crainte réelle en ce qui concerne les élections européennes de juin et la présidentielle américaine de novembre. Une crainte qui s’appelle populisme et qui est, de plus en plus souvent acoquinée à une forte dose de climatoscepticisme et son penchant routier : le refus de la voiture électrique. Une opposition sur laquelle Marine le Pen s’est exprimée et dont Donald Trump a fait la démonstration tout au long de son premier mandat.
Or, que se passerait-il si, d’aventure, les partis d’extrême droite remportaient, ou du moins arrivaient premiers au scrutin du mois de juin ? La directive prévoyant la fin du thermique en 2035 aurait du plomb dans l’aile.
...Donald Trump non plus
De l’autre côté de l’Atlantique, si le Républicain, largement en tête dans tous les sondages, parvenait à retourner à la Maison blanche, personne ne donnerait très cher de l’IRA (Inflation Reduction Act) de Joe Biden, et son énorme coup de pouce, de plus de 300 milliards, à l’industrie verte.
On pourrait s’imaginer que le retour en arrière induit par les résultats de ces élections pourrait parfaitement convenir aux constructeurs automobiles et qu’après tout, continuer tranquillement à faire ce qu’ils font depuis 150 ans, leur va très bien. D’autant que les sommes investies dans l’électrification par les marques mondiales, et dans une moindre mesure par les États, sont colossales. Une bascule chiffrée, rien que le groupe Volkswagen à 170 milliards d’euros.
Il serait donc logique que les constructeurs rêvent d’arrêter les frais et souhaitent une victoire des populistes leur permettant de revenir à leurs bonnes vieilles pétrolettes. Sauf qu’il est trop tard. Abandonner cette très chère transformation est inenvisageable pour eux, pour une raison toute simple : ils ont trop payé pour reculer. Le point de bascule est atteint, celui à partir duquel, passer par pertes et profits les sommes investies mettrait en péril ces entreprises.
Alors, elles continuent cette transformation entamée depuis des années, malgré ce que pensent et décident les politiques. En témoigne une scène qui s’est déroulée au salon de Detroit 2019. Donald Trump a été élu un an auparavant, et sa Secrétaire d’État aux transports, Elaine Chao inaugure la manifestation avec les patrons des big three d'alors (General Motors, FCA et Ford). Elle leur explique qu’ils peuvent se lâcher sur les V8 thermiques et que son patron ne veut pas de voitures électriques aux États-Unis.
Mais là ou la ministre s’attendait à des cris de joie, la réaction des CEO a été très différente, et plutôt en mode « non merci ». L’explication est simple : pour ces groupes américains, tous très mondialisés, il n'est pas question de faire une exception locale. Ils se lançaient alors dans l’électrique pour commencer à couvrir les deux plus gros marchés mondiaux : l’Europe et la Chine en train de basculer, et n’avaient, déjà, aucune volonté de développer, en parallèle, des modèles thermiques pour les seuls US.
Ni trop populistes, ni trop écolos, bien au contraire
Plus récemment, Carlos Tavares, ou du moins les cadres dirigeants de son groupe, ont envoyé des mails aux députés européens réputés sceptiques envers l’instauration de la fin du thermique, la veille du vote pour fixer la date couperet. Dans ces messages, selon un documentaire de France 5, diffusé l’an passé, la direction du groupe leur conseillait de voter pour la directive. De son côté, et au même moment, le boss de Stellantis disait, par voie de médias interposés, tout le mal qu’il pensait de cette date fatidique.
Un double jeu qui a un but et qui pourrait se résumer par une formule : "il ne faut pas revenir en arrière, mais ne pas aller trop vite de l’avant". Un curieux pas de danse parfaitement résumé par le boss de Stallantis se posant la question : « Qui va gagner : les populistes climatosceptiques ou les progressistes dogmatiques ? ». Si l’industrie automobile ne choisit pas son camp politique, nul doute en tout cas, que ses goûts ne vont pas vers les extrêmes. Et pour paraphraser Coluche, ils ne sont ni climatosceptiques, ni écologistes, bien au contraire.
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