La Simca 1307/1308 fut la familiale favorite des Français voici 50 ans…
… et tout le monde l’a oubliée. Enfin presque. Retour sur une auto brillante, aussi vite tombée du firmament commercial qu’elle y est montée.

Nous sommes en juillet 1975. La nouvelle Simca, attendue depuis des mois est enfin révélée : la 1307-1308. Les dirigeants du constructeur de Poissy, alors propriété de l’américain Chrysler, croisent les doigts car leur nouvelle berline familiale doit redresser une situation assez peu brillante. La grande berline 180, moche et mal née, est un échec, alors que les 1000 et 1100 ne peuvent cacher leurs rides.
En Angleterre, où Chrysler possède le groupe Rootes, c’est encore pire. Ce dernier ne peut s’appuyer que sur la Sunbeam Avenger, une familiale très banale, pour surnager tant bien que mal, son Hillman Imp étant hors d’âge. C’est d’ailleurs chez Rootes qu’a été brillamment dessinée la 1307-1308, appelée Alpine outre-Manche, sous la férule de Roy Axe, qui sera plus tard responsable du design des Talbot Horizon et Tagora, mais aussi de la Rover 800.

Les Anglais doivent toutefois manger leur chapeau (melon) car la technique de la nouvelle 1307-1308 est purement française : son ensemble moteur culbuté/boîte placé en position transversale avant dérive de celui de la 1100, pour des raisons de prix de revient. Il en va de même pour la suspension antérieure, à bras superposés et barres de torsion. Pourquoi n’a-t-on pas retenu l’excellent bloc à arbre à cames en tête de la 180 ?
Parce qu’il aurait imposé de développer une nouvelle boîte capable d’encaisser son couple, et ça, Chrysler l’a refusé. D’ailleurs, le Pentastar, pas au mieux de sa forme, a sacrément bridé le budget de conception. Ainsi, les ingénieurs de Simca, qui ont conçu la 1307-1308, ont-ils dû construire en catimini un atelier spécifique pour fabriquer des exemplaires de pré-série afin de parfaire l’auto avant sa commercialisation !
Chronique d'un succès annoncé

En tout cas, quand elle apparaît, le timing semble parfait. Elle est la seule de sa catégorie à arborer une architecture aussi moderne, complétée d’un hayon arrière allié à une banquette rabattable. Le principe n’est pas nouveau, la Renault 16 en faisant ses choux gras depuis 1965, mais voilà, elle a vieilli. La Citroën GS, si sophistiquée soit-elle, n’a pas de 5e porte, et se contente de moteurs peu puissants, à l’instar de la peu convaincante Peugeot 304, qui n’est qu’une 204 rallongée.
A l’étranger, la rivale la plus dangereuse semble être la Volkswagen Passat, bien construite et dotée de moteurs performants, mais voilà, la Simca lui colle un sacré coup de vieux. La Fiat 131 remporte un grand succès, mais elle s’en tient à des solutions vieillissantes (propulsion, essieu rigide), à l’instar des Ford Taunus et Opel Ascona.

En clair, la berline 5 portes de Poissy est quasiment seule au mode et elle a été soigneusement mise au point. Elle tient remarquablement la route, soigne son confort, offre de bonnes performances, consomme raisonnablement, et bénéficie d’un équipement riche. Même son prix est compétitif ! Qu’est-ce qui pourrait bien clocher ? Certainement pas l’accueil des journalistes, dithyrambiques : ils l’élisent Voiture de l’année 1976, loin devant la BMW Série 3. Même la Scandinavie l'élit Voiture de l'année. Résultat, le duo 1307-1308 remporte un succès colossal ! Mais ce sera, paradoxalement, une des sources de sa chute…

La gamme est étroite mais adroite : en entrée, la 1307 GLS se veut économique avec son 1,3 l de 68 ch. Juste au-dessus se situe la 1307 S, mieux équipée et dotée du même bloc mais doté de 2 carburateurs et poussé à 82 ch (en fait celui de la 1100 TI), alors qu’au sommet de la gamme trône la 1308 GT. Celle-ci a droit à un nouveau 1 442 cm3 délivrant 85 ch, qui lui permet de frôler les 170 km/h. Malheureusement il lui manque une 5e vitesse, qui lui aurait permis de réellement défier la très estimée R16 TX.
Plus dure sera la chute

Les 1307-1308 bénéficient en tout cas d’un allumage transistorisé, une première européenne garante de démarrages à froid facilités, voire de boucliers en composite de plastique (comme la Renault 5), un cas unique dans leur catégorie. Les clients affluent dans les concessions, et fin 1976, 250 000 unités ont été vendues, chiffre porté à 500 000 un an plus tard. La Simca est l’épouvantail de la catégorie.
Seulement… Pour satisfaire la demande, Poissy a trop accéléré la production, au détriment de la qualité, bon nombre d’exemplaires passant à côté du bain antirouille. Conséquence, les voitures se corrodent très vite : effet dévastateur pour l’image de Simca ! Ensuite, les Anglais, au contraire des Français, boudent leur Alpine, dont la boîte très courte fait tourner trop vite à leur goût le moteur, déjà bruyant par nature. Ils préfèrent aussi la ligne plus valorisante d’une Ford Cortina, qui fait un tabac chez eux malgré sa tenue de route incertaine.

Enfin, au soir de 1977, Simca dévoile l’Horizon, techniquement proche de la 1307, plus petite mais aussi moins chère et mieux dessinée. Elle aussi est élue Voiture de l’année, et elle va phagocyter les ventes de sa grande sœur, qui voit ses commandes chuter dramatiquement dès 1978. L'arrivée des Peugeot 305 et Renault 18 lui fera aussi beaucoup de mal ! Malheureusement, la 1307-1308 n’évolue pas suffisamment pour contrer ces rivales aux gammes autrement riches, même si apparaît cette année-là une variante 1309 SX, censée se démarquer vers le haut.

Nantie d’un 1,6 l de 88 ch, évolution du moteur de la 1308 GT, elle adopte d’office une boîte automatique associée à un régulateur de vitesse, une première dans la catégorie. Richement équipée et présentée, elle pâtit pourtant de performances médiocres à cause de sa transmission américaine à trois vitesses et se vend peu. Dotée d’une boîte manuelle, il en aurait été autrement, mais voilà, celle de la 1308 ne peut encaisser le couple du 1,6 l…
Une remplaçante qui n'a rien de bien neuf...
La messe est dite pour les 1307-1308-1309 qui disparaissent fin 1979, après avoir été tout de même produites à près de 700 000 unités. En quatre ans, ce score demeure excellent même si le succès aura été éphémère. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. La 1510 qui remplace le trio n’en est en réalité qu’une petite évolution. A tel point qu’elle se nomme toujours Alpine outre-Manche.

Elle se distingue surtout par sa face avant, inclinée dans le sens du vent, ses feux arrière et… son blason. Elle ne s’appelle plus Simca, ni Chrysler-Simca, mais Talbot. Il en a été décidé ainsi par Peugeot qui a racheté en 1978 les activités européennes du groupe Chrysler, donc Simca en France, Rootes en Angleterre et Barreiros en Espagne. La 1510 bénéficie surtout d’une bien meilleure protection contre la rouille que ses devancières (désormais par cataphorèse) et propose une garantie 6 ans anticorrosion. Une première en France !

Tièdement accueillie de par son manque de progrès visibles, la 1510 se voit déclinée dès 1980 en 3 volumes. Une carrosserie alors assez appréciée en France (les Renault 18 et Peugeot 305 s’en parent et se vendent comme des petits pains), mais aussi au Royaume-Uni et en Espagne, qui mérite une nouvelle appellation : Solara. Très adroitement dessinée par Roy Axe, la Solara s’équipe aussi du 1,6 l de la 1309 SX, enfin allié à une boîte 5 manuelle.
Par quel miracle ? C’est celle de la Citroën CX ! Cette jolie berline se vend correctement, mais ça ne durera pas, faute d’évolutions significatives, même si elle reçoit une boîte Peugeot en 1984. La 1510 passe à la trappe (en France du moins) en 1983, et la Solara en 1986. PSA lui refusera d’ailleurs chez nous l’excellent 1,9 l diesel XUD, pourtant monté dans l’Horizon… Les Espagnols, eux, en bénéficieront. Près de 185 000 Solara seront produites, jusqu’à la fin 85 en France, et 1987 en Espagne.

Un héritage inattendu
Tout ne s’arrête pas là. Oui, encore ! La mécanique de la Solara se retrouvera dans ses grandes lignes dans la Peugeot 309 qui lui succède sur la chaîne de montage à Poissy. D’ailleurs, cette dernière devait initialement se nommer Talbot Arizona. Ensuite, sur la base des 1307-1510-Solara, Matra a développé celle qui allait devenir Renault Espace, après que Peugeot, faute de fonds, a renoncé à la finaliser. Sans Simca, pas de monospace français !

Par ailleurs, dès 1978, une cinquantaine de 1307-1308 sont achetées… par l’URSS, qui cherche à se doter d’une familiale moderne. Sur la base de la française, la marque russe Moskvitch va très lentement concevoir la terrifiante Aleko, commercialisée dans son pays natal en 1986. Dotée d’un moteur Lada en position longitudinale, cette monstruosité communiste (une de plus…), débarquera en France en 1991, où elle n’aura strictement aucun succès.

En réalité, elle souffre de la même maladie qui a sapé la carrière de son aïeule : le manque d’argent. Celui-ci a empêché la famille 1307 de bénéficier de moteurs modernes puis d’évoluer comme elle le méritait, d’autant que Chrysler, en pleine déconfiture, a très certainement absorbé les bénéfices qu’elle générait.
Même topo chez un Peugeot exsangue qui n’a pu que procéder à des replâtrages, certes habiles, avant de jeter l’éponge, et Talbot avec ! Aujourd'hui, ces Simca-Chrysler-Talbot sont devenues rarissimes en bon état, leur faible valeur n'incitant pas les gens à les restaurer, d'autant que les pièces spécifiques sont rares. Si vous trouvez un exemplaire sain à 3 000 €, foncez !

Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération