La « conduite après usage de stupéfiants » s’applique aussi au CBD !
Pour la Cour de Cassation, qui vient de rendre sa première décision sur le délit de conduite “sous” stupéfiants depuis la légalisation du CBD, que les substances recherchées dans les dépistages ne proviennent pas d’une drogue n’a aucune importance. Un conducteur relaxé en appel vient d’en faire les frais. Décryptage.
Fumeurs de CBD, prenez garde !
Consommer cette variété 100 % légale de cannabis sous quelque forme que ce soit dès lors que les produits vendus ne possèdent pas une teneur en THC supérieure à 0,30 % ne vous met pas à l’abri de poursuites relatives aux stupéfiants.
Alors que le Conseil d’État a récemment rappelé que le cannabidiol (CBD) « ne peut être considéré comme un produit stupéfiant », rendant d’ailleurs impossible son interdiction, la Cour de Cassation vient de considérer que son autorisation « est sans incidence sur l'incrimination de conduite après usage de stupéfiants ».
Autrement dit, le conducteur qui n’a consommé que du CBD – non considéré comme une drogue, répétons-le - peut se retrouver condamné pour avoir fait usage malgré tout de… stupéfiants !
C’est la première décision sur le sujet de la Cour de Cassation (Caradisiac a demandé à Laureen Spira, avocate spécialisée sur ces affaires ce qu'elle en pensait, son interview est à retrouver ici). Et il paraît évident qu’elle ne sera pas sans incidence sur les jurisprudences des autres juridictions des premier et second degrés, qui n’étaient pas forcément sourdes jusque-là aux arguments de la défense.
Quelle quantité de CBD pour devenir positif ?
Comment expliquer de telles poursuites alors qu’on ne s’est justement pas drogué ?
Eh bien, comme indiqué, le problème vient de cette présence, même minime, dans les produits CBD, qui ne sont généralement pas purs, de delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), lequel est aussi le principal constituant bien psychoactif pour le coup du cannabis quand celui-ci est stupéfiant.
Et c’est la présence de ce THC qui positive les dépistages au cannabis, quand bien même les conducteurs n’auraient pris que ces produits autorisés composés surtout de CBD.
À partir de quelle quantité ? C’est bien là le problème, on n’en sait strictement rien !
Un contrôle positif après en avoir consommé n’est pas systématique.
Mais de fait, tout consommateur de CBD qui prend le volant court le risque de l’être, et donc de se voir poursuivre pour ce délit passible de peines gravissimes : deux ans d'emprisonnement, 4 500 euros d'amende, perte de 6 points sur son permis de conduire, en plus de sa suspension, voire son annulation… entre autres.
Et en cas d'alcoolémie associée, c’est naturellement pire : les peines sont portées à trois ans d'emprisonnement et 9 000 euros d'amende.
En outre, comme le rappelle le ministère de l’Intérieur dans une réponse donnée à un sénateur le 29 juin, ces potentielles peines sont dès le contrôle positif sur le bord de la route précédées de sanctions administratives très pénalisantes dans la vie de tous les jours.
« Par coordination, dixit Beauvau, il est prévu qu'en cas de dépistage positif, les forces de l'ordre procèdent, par mesure de sûreté, à la rétention immédiate du permis de conduire pendant un délai maximum de 120 heures, au cours duquel le préfet compétent peut, si l'analyse biologique de vérification établit un usage de stupéfiants, prendre un arrêté de suspension du permis de conduire pour une durée maximum d'un an, dans l'attente de la décision judiciaire (articles L. 224-1 et L. 224 2 du Code de la route). »
En clair, en cas de contrôle positif, cela fait très mal, avant même le passage au tribunal !
Des tribunaux potentiellement attentifs aux arguments de la défense
Et c’est ce qui est arrivé dans un premier temps, même si les peines prononcées ensuite par le juge sont très en deçà des maxima encourus, dans le cas présenté à la Cour de Cassation, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français, d’où l’importance de cette décision.
Un automobiliste a été interpellé car il roulait trop vite – 156 km/h retenus au lieu de 110.
Il a fait l’objet d’un dépistage de l’imprégnation alcoolique – négatif -, mais aussi d’un dépistage salivaire, après qu’un sachet portant l’inscription CBD a été découvert par les agents, qui s’est lui révélé positif.
Selon ses déclarations, ce conducteur ne consomme plus que du CBD sous forme de fleurs mélangées à du tabac, tandis qu’il a arrêté le cannabis (stupéfiant) depuis plusieurs années.
En première instance, début 2021, le tribunal Correctionnel du Havre l'a condamné pour ces deux infractions d’excès de vitesse et de conduite après usage de stupéfiants, à deux mois d'emprisonnement avec sursis, six mois de suspension du permis de conduire, ainsi qu'à 50 euros d'amende.
Il a fait appel, et si la Cour d’Appel de Rouen a en septembre 2022 maintenu sa condamnation pour l’excès de vitesse, elle l’a relaxé pour le délit relatif aux stupéfiants, « au motif que l'expertise toxicologique ne mentionne pas de taux de tétrahydrocannabinol (THC), et qu'il n'a pas été recherché si le cannabidiol (CBD) que l'intéressé indiquait avoir consommé excédait la teneur admise en THC », soit 0,30 % - et même 0,20 % à l’époque des faits, puisque la législation a évolué entre-temps.
Dans ces circonstances, « ni l'élément matériel, ni l’élément intentionnel de l'infraction ne sont établis avec certitude », jugeait-elle.
Motif cependant récusé par la Cour de Cassation !
Il suffit que le THC soit détecté… quelle que soit la dose !
Dans sa décision datée du 21 juin dernier, elle estime que l'article L.235-1 du code de la Route – celui qui encadre ce délit - incrimine le seul fait de conduire après avoir fait usage de stupéfiants, « sans qu'il soit fait référence à un dosage de stupéfiants à établir lors des analyses biologiques du prélèvement salivaire ou sanguin du contrevenant ».
Peu importe, pour la Cour, la dose absorbée ! Et même que « que le taux de produits stupéfiants ainsi révélé soit inférieur au seuil minimum » de détection prévu par un arrêté de 2016 !
Il suffit que les substances recherchées soient détectées…
L’arrêt de la Cour d’appel est ainsi cassé, et l’automobiliste devra être rejugé à Rouen.
« Si le CBD n'est pas un produit stupéfiant, il reste tout de même une substance à effet psychoactif (sic), dont les effets relaxants et anxiolytiques recherchés, peuvent altérer les capacités de conduite et avoir des interactions avec d'autres molécules, notamment des médicaments », conclut le ministère de l’Intérieur dans sa réponse du 29 juin…
Affirmer toutefois que le CBD est « une substance à effet psychoactif » est faux. Il ne l’est justement pas, selon les instances sanitaires, même si d’autres questionnements à son sujet (et notamment son impact réel sur la santé) peuvent persister, faute d’études scientifiques poussées le concernant.
En tout cas, c’est bien parce qu’il n’est pas classé parmi les stupéfiants qu’il est aujourd’hui autorisé.
Qu’à partir d’une certaine consommation de CBD, la concentration de THC qui en résulterait puisse être problématique pour la conduite, cela reste effectivement un sujet.
Mais alors, à quand des mises en garde obligatoires sur les produits en vente et une grande campagne d’information ?
Conduite « sous » stupéfiants, bientôt une nouvelle loi ?
Pour rappel, depuis le terrible accident de l'humoriste Pierre Palmade, et d'autres accidents également médiatisés qui ont depuis ému l'opinion publique, la pression est forte pour créer un nouveau délit d’homicide routier.
Situé entre l’homicide volontaire et l’involontaire, il consisterait à sanctionner plus sévèrement les conducteurs ayant causé des accidents mortels après avoir fait usage de stupéfiants, et peut-être aussi d'alcool.
Des propositions sont attendues en ce sens en ce mois de juillet, avec normalement la tenue d’un comité interministériel de la Sécurité routière.
Selon le bilan de l'accidentalité de l'année 2022 de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), un conducteur positif aux stupéfiants est impliqué dans 13 % des accidents mortels.
Et un conducteur testé positif au cannabis « a 1,65 fois plus de risque d'être responsable d'un accident mortel », selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT).
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