La Chine au pied de la muraille d’Europe
Avec ses tarifs délirants et ses clients fauchés, le marché automobile européen est une proie de plus en plus tentante pour les constructeurs chinois. Et ce n’est pas forcément avec des voitures électriques qu’ils pourraient l’envahir…
Cette semaine s’est ouvert le procès des faux espions de Renault. Vous vous souvenez ? Trois hauts cadres avaient été accusés d’avoir fourni « aux Chinois » des informations confidentielles sur les voitures électriques que préparaient Guyancourt. À peine éjectés, ils se sont avérés innocents, victimes d’une grossière escroquerie mitonnée par un chasseur de prime dans la marmite de suspicion et de peur que faisait régner Carlos Ghosn dans « son » entreprise.
Au procès de cette pathétique mascarade, on ne répondra pas à une question pourtant intéressante : les constructeurs chinois ont-ils espionné leurs confrères occidentaux ? Évidemment oui, mais pas seulement sur l’électrique et pas forcément plus loin qu’en Chine. Pas besoin de fausse moustache ni d’enveloppe de cash : il suffisait de se faire embaucher dans les usines locales de PSA, VW, GM, Mercedes, BMW et autres champions de la délocalisation.
Concernant la voiture électrique, je doute qu’ils aient eu besoin de soudoyer quiconque vu leur avance dans ce domaine et encore plus dans celui des batteries.
De fait, c’est nous qui aurions dû les espionner… En fouinant du côté de Shanghai, Renault aurait ainsi pu anticiper le coup de la MG4 qui allait lui tondre la pelouse sous les roues de sa jolie Mégane.
Le vendredi de cette même semaine où s’étale au tribunal la paranoïa chinoise du losange, le quotidien Le Monde titre : « L’Europe face à la vague de l’automobile chinoise ».
J’aurais dû attendre ce lundi pour le lire, cela m’aurait sauvé le week-end.
Le protectionnisme pour horizon
Le chapô de l’article donne le ton : « … la puissance des constructeurs chinois écrase les perspectives. » Je savais que BYD construisait une usine en Hongrie, où la main-d’œuvre est encore moins chère qu’en Chine. Je savais que « l’objectif des constructeurs chinois, c’est de dominer le marché mondial » comme l’affirme plus loin un économiste. Je savais que la Chine qui, en 2019, exportait cinq fois moins de voitures que l'Allemagne, la dépasse aujourd’hui de 50 %. Je savais que déjà, des équipementiers européens, Bosch, Continental, Valeo, Faurecia et consorts, se préparent au challenge chinois en licenciant, parfois à l’occasion de délocalisation hors d’Europe.
Mais le tableau que dresse, par petites et grosses touches cet article, est encore plus sombre.
Une anecdote : au dernier CES de Las Vegas, c’est sur des voitures chinoises que les équipementiers Valeo et Beyond, respectivement français et américain, présentaient leurs dernières innovations.
Bref, un tableau si noir qu’on y lit des propos assez étonnants tenus par un économiste libéral : « le protectionnisme n’est pas souhaitable en soi, mais à un certain moment, c’est le seul moyen de ne pas se faire siphonner tout son marché. »
Décidément, le libéralisme n’est plus ce qu’il était.
Une ligne Maginot
Le protectionnisme, on vient de s’y mettre en France avec la suppression du bonus gouvernemental sur la quasi-totalité des VE coréens et tous les Chinois. Et contrairement à mes prédictions, des fonctionnaires européens vont bientôt « visiter » les sièges de BYD, Geely, SAIC et Great Wall Motors. Ce dernier ayant déjà répondu à un questionnaire des enquêteurs. Il s’agit de prouver la concurrence déloyale via des aides d’état, fastoche…
À la clef, une taxation des wattures made in China… à laquelle je ne crois pas. Ne serait-ce que parce que les constructeurs allemands, mais aussi français, qui ont délocalisé en Chine une partie de leur production, auraient trop à y perdre. Officielles ou officieuses, on imagine les rétorsions que le PCC pourrait exercer sur les usines de BMW, Mercedes, VW -Audi et Stellantis et sur leur accès au marché chinois.
Et surtout, ce protectionnisme, je le vois comme une ligne Maginot facile à contourner. L’usine hongroise de BYD ne tardera pas à produire ses premières wattures « hors taxes » car européennes et annoncées 25 % moins chères que leurs rivales européennes.
Et au fait, la grande usine allemande de Ford Sarrelouis est toujours à vendre.
Le péril n’est pas qu’électrique
J’y crois d’autant moins qu’à se focaliser sur les seules voitures électriques, on néglige une autre porte d’entrée au marché européen, celles des thermiques et surtout des hybrides qui, à elles deux continueront encore longtemps de faire le gros des ventes.
Ceux qui ont visité le Mondial de l’auto ont peut-être remarqué sur les stands de Geely, de Great Wall et consorts, des hybrides rechargeables avec assez de kWh pour parcourir non pas 50 ou 70 km comme les européennes, mais 100 à 150 km.
Ce que l’on n’a pas vu porte de Versailles, c’est l’énorme catalogue de voitures essence de cette industrie toute neuve.
Qui croit encore que les Chinois ne font pas de bons moteurs thermiques ? Ils ont été à bonne école, celle, entre autres de BMW qui produit depuis des lustres à Dadong et Tiexi.
D’ailleurs, avant la MG4, les premières MG visibles en France (et omniprésentes en Grande Bretagne) étaient de mignons SUV essence dont les propriétaires ne semblent pas se plaindre.
La transition électrique patine en Europe
Ces voitures, on ne les voit pas venir, obsédés que nous sommes par l’électrique.
Or, jusqu’en 2035, soit pour douze ans encore, la voiture thermique, qu’elle soit européenne, chinoise ou coréenne aura droit de cité en Europe. Et plus longtemps si en 2026, la clause de revoyure imposée par les constructeurs est activée.
Je parie qu’elle le sera car la transition électrique patine en Europe. Si elle s’accélère dans beaucoup de pays dont la France, elle n’a toujours pas démarré dans les pays du Sud et de l’Est et cale en Allemagne depuis la fin du bonus. Aux États-Unis, c’est pire et elle pourrait même s’arrêter en 2025 si Trump est élu.
La Commission européenne osera-t-elle infliger à « ses » constructeurs les énormes sanctions financières promises s’ils n’électrifient pas assez vite leurs ventes et donc ne respectent pas leurs engagements CO2 ? Et cela en leur imposant d’investir toujours plus dans cette transition ? Personne n’y croit. Et beaucoup parient sur la survie de la voiture thermique et hybride en Europe bien au-delà de l’échéance prévue.
Les constructeurs chinois pourraient être de ceux-là…
20 millions de voitures manquantes
Un fait commandera la suite des événements : depuis 2020, il manque chaque année cinq millions de voitures neuves au marché européen pour retrouver ses 15 millions annuels d’immatriculations d’avant Covid.
On peut, comme certains le font, célébrer cette « décroissance ». Ou songer que ces 20 millions de voitures non produites manquent à des personnes dont les besoins de mobilité n’ont pas diminué et qui finissent d’user des voitures hors d’âge avec les émissions de CO2 et la pollution qui vont avec.
S’ils n’achètent plus, ce n’est pas pour « sauver la planète », mais à cause des tarifs devenus stratosphériques du neuf et, en cascade, de l’occasion, hausse qui se conjugue à une inflation générale qui peut bien ralentir mais n’enclenchera jamais la marche arrière et à des salaires qui augmentent peu.
Le renouvellement – et pas seulement l’électrification - de ce parc vieillissant détenu par des personnes à revenus modestes, les constructeurs et gouvernements européens semblent y avoir renoncé.
Les premiers parce qu’ils gagnent bien plus d’argent sur un marché de 10 millions d’unités en gérant la pénurie à coups d’augmentations de tarif qu’en bradant la tôle sur un marché de 15 millions. Les seconds parce qu’ils attendent de la seule voiture électrique la motorisation de leurs populations. Ce sera long : les 25 ou 40 000 voitures du leasing social français ne pèseront pas plus lourd qu’un coup de com’ face aux millions de voitures en bout de course.
Des clients plus fauchés que patriotes
Bref, ce qui devrait sauter aux yeux de nos industriels et gouvernants, c’est depuis que Dacia, Fiat, Seat, Citroën et autres marques populaires se sont converties aux joies de la montée en gamme, des tarifs à 5 chiffres et du « pricing power », un boulevard, que dis-je, un chenal à porte-conteneurs s’offre aux constructeurs chinois et à leurs voitures thermiques pas moins bonnes que les Dacia et bien moins chères.
En l’état actuel de son marché, l’Europe serait un eldorado pour eux, des dizaines de millions de clients plus fauchés que patriotes qui n’attendent qu’une alternative aux produits de luxe que sont devenues les entrées de gamme qu’on leur propose : 22 600 € pour une Peugeot 208 essence de 75 chevaux avec une boîte 5 ! Ou 24 000 € pour une VW Polo du même tonneau ! À ces prix, à Pékin, on s’offre trois Dongfeng ou deux Chery, avec la caméra de recul et le GPS en prime ! On pourra bien les taxer à nos frontières, elles resteraient archi-compétitives.
Le plus étonnant est que SAIC, GW, Geely, BYD et Cie n’aient pas encore sauté sur ce marché de rêve, préférant pour l’heure investir ceux des pays émergents, et chez nous tatouiller le petit bain de la watture, certes avec grand succès dans le cas de MG.
Cela durera-t-il ? On peut redouter que non car le marché intérieur chinois a cessé de croître et la surproduction y menace, notamment celle des voitures thermiques de moins en moins demandées ; car s’il est un pays qui réussit sa transition énergétique, c’est bien la Chine.
Or, ces pétroleuses, les constructeurs chinois contrairement à leurs homologues européens ne les négligent pas et continuent à les améliorer, ne serait-ce parce qu’elles resteront pour longtemps leur principal produit d’exportation dans tous les pays asiatiques, africains, sud-américains et autres contrées où le VE est une perspective lointaine.
Pour conclure, et pardon si j’ai été long, on peut craindre qu’après s’être vu fermer la porte de la voiture électrique, la Chine ne passe par la fenêtre de la voiture thermique.
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