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La beauté des laides - Fiat Multipla : le beluga qui se prenait pour un karting

Dans Rétro / Autres actu rétro

Michel Holtz

Une telle série, qui entend mettre en avant les autos au design difficile, ne pouvait faire l’impasse sur l’une des voitures les plus détestées au monde. Ce modèle, auquel même ses pires détracteurs finissent par reconnaître des qualités, c’est le Fiat Multipla. Car s’il est dessiné comme un débonnaire Beluga, son architecture est celle d’un karting ultra-accueillant.

La beauté des laides - Fiat Multipla : le beluga qui se prenait pour un karting

L’expression semble avoir été inventée pour lui : « c’est comme un chausson, il est moche à l’extérieur, mais on est tellement bien dedans ». Le Fiat Multipla est comme ça : un profil avant de Beluga, un arrière de calèche suranné, mais un intérieur absolument génial. En l’observant, on se pose évidemment une question évidente : pourquoi ? Mais qu’est ce qui a bien pu se passer dans la tête du designer qui a concocté ce Multipla ? En l’occurrence, c’est Roberto Giolito qui s’y est collé. Et le garçon est loin d’être dépourvu de talent (on lui doit notamment le dessin de la Trepiuno, le concept-car qui deviendra la nouvelle Fiat 500 et qui fait l’unanimité depuis 2007). Du coup, on se demande ce qu'il avait ingurgité lorsque, en ce matin de 1993, Roberto s’est assis à sa table à dessin pour aboutir à ce résultat qui restera sans aucun doute l’auto européenne la plus moquée de toute l’histoire.

Le concept qui préfigurait le Multipla définitif. On ne pourra pas reprocher à Fiat de ne pas avoir tenu ses promesses.
Le concept qui préfigurait le Multipla définitif. On ne pourra pas reprocher à Fiat de ne pas avoir tenu ses promesses.

En fait, Maître Giolito a peut-être tout simplement appliqué les principes de base du design : le dessin au service de la fonction, et non l’inverse. En observant le Multipla, c’est exactement ce que l’on constate. Le petit monospace est taillé pour l’habitabilité. Son arrière ultra-vertical dégage de l’espace, ses très grandes vitres lui permettent de faire entrer un maximum de lumière, quant à son capot avant, il est finalement assez classique et s’inscrit parfaitement dans le style de l’époque. Et la fameuse boursouflure qui donne à l’auto une allure de beluga ? C’est la Giolito’s touch. Une vision personnelle qui doit permettre de différencier le Multipla de ses concurrents.

Le sourire du cétacé

Et dieu sait que l’effet fonctionne. Les deux feux, proches du pare-brise, soulignent le visage de l’auto rigolote et il suffit de regarder de face le Multipla restylé quelques années plus tard - la disparition de cet effet - pour mesurer son importance. Mais Roberto Giolito n’est prophète ni dans son pays, ni ailleurs, et le sourire de cétacé a fait rire toute la planète auto, qui n’a toujours pas fini de se gondoler lorsqu’elle regarde passer l’un de ces phénomènes roulants.

Le Fiat Multipla de 1958 : l'ancêtre.
Le Fiat Multipla de 1958 : l'ancêtre.

Mais le vrai coup de génie du designer turinois n'est pas tant d'avoir dessiné un extérieur remarquable (un terme à prendre au sens strictement littéral), mais un habitacle révolutionnaire. Pour ce faire, il s'est évidemment penché sur l'histoire de la maison Fiat, et notamment sur une version de la 600 de 1958 déjà baptisée Multipla. Cet ancêtre des monospaces (Avec le Combi Volkswagen) proposait 6 places en trois rangées. Eureka, se dit Giolito. On va garder le nom, le nombre de passagers, mais on va tout changer. Pour que les hôtes du nuovo Multipla soient à l'aise (et dieu sait qu'ils le sont) on va lui coller deux rangées de sièges au lieu de trois. En plus, de cette manière, l'auto restera assez courte pour se faufiler partout. Et de fait, le Multipla nouveau avec ses 4,08 m mesure à peine 3 cm de plus qu'une Renault Clio 5. Tout va donc se jouer dans la largeur. Et là, le designer n'hésite pas.

Une longueur de Clio pour une largeur de Vel Satis

Pour caser trois sièges individuels de front, le Multipla atteint 1,87 m de large, soit 1 cm de plus qu'une Renault Vel Satis. Déroutant, mais loin d'être déconcertant au volant. En plus, malgré les 6 sièges permanents, le coffre de ce Multipla fait 430 l, soit celui d'une Renault Mégane 4. Mieux, ce serait trop. Reste que pour caser trois personnes à l'avant, pas question de console centrale qui accueillerait un levier de vitesses. Là encore, Giolito trouve la solution. Il rejette sur la planche de bord, en les regroupant, toutes les commandes, des compteurs jusqu'au levier de vitesses en passant par les aérateurs et la clim. L'ensemble forme un curieux gâteau en plastique à l'esthétique de dînette Fisher Price qui a fait hurler les esthètes de la planche traditionnelle, lesquels ne juraient que par les inserts de faux bois, le pommeau en cuir et les aiguilles en face du volant. Mais laissons les réactionnaires se pâmer dans la nostalgie et refuser la modernité du monospace Fiat.

Un curieux regroupement central des commandes, mais des boîtes à gants à revendre.
Un curieux regroupement central des commandes, mais des boîtes à gants à revendre.

Ces nostalgiques passeront à côté des multiples rangements qu'offrait l'engin, avec pas moins de quatre boîtes à gants. En plus, pour les familles pas trop nombreuses, qui n'avaient pas besoin des trois sièges avant, Fiat proposait de remplacer le fauteuil central par un réfrigérateur servant aussi d'accoudoir géant. Même chez Maybach, on ne fait pas mieux. Alors, les rétrogrades, on la ramène déjà moins ? Certes, l'assemblage de toute cette quincaillerie laissait un tantinet à désirer. Mais n'est-ce pas le prix à payer pour la démocratisation d'un design révolutionnaire ?

Une tenue de route de sportive

Cette très curieuse architecture, si elle permet de caser six occupants et leurs bagages, a un autre avantage : la largeur de l'auto, qui compense sa hauteur et garantit une tenue de route de kart. Elle vire à plat comme personne et ne prend pas le moindre roulis. Une noblesse de châssis qui en remontre aujourd'hui encore à tous les SUV de la planète. D'autant que cette largeur d'esprit et de châssis s'accompagne de porte-à-faux minimalistes. Mais voilà que, devant le feu roulant de compliments, quelques voix s'élèvent pour dénoncer l'inconfort de l'engin, et la sécheresse de ses suspensions. Dénonceraient-elles avec la même véhémence le manque de souplesse d'une monoplace, qui a l'inconvénient majeur de n'emporter qu'une seule personne ? Certes non.

1 000 ch pour un Multipla ? Ce sera peut-être possible.
1 000 ch pour un Multipla ? Ce sera peut-être possible.

D'ailleurs, une communauté de youtubers vient de décrocher la timbale pour mettre au point un Multipla de 1000 ch. Ils ont récolté près de 500 000 euros par la grâce d'une cagnotte en ligne. Bien sûr, on les sent moqueurs. Bien entendu, l'affaire tient du gag ricanant envers une pauvre auto qui n'en demandait pas tant. Mais les créateurs du Renault Espace eux non plus ne réclamaient rien à personne. Et pourtant, les ingénieurs de ce département ont mis sur la route (enfin surtout sur un circuit), l'Espace F1, avec un V10 et 820ch. D'autant que le monospace du losange, pour fameux qu'il fût, n'a jamais été aussi révolutionnaire que le Multipla. Et dire que l'Espace est devenu un nom commun au même titre que le frigifaire et que l'on continuera à dénigrer l'Italien. Sauf si le temps passant, et l'histoire ne retenant que les faits marquants, le curieux engin retrouve la place qu'il mérite : parmi les meilleurs.

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