La beauté des laides - Citroën C3 Pluriel : le couteau suisse qui manquait de tranchant
Disons-le d'emblée, la version découverte de la C3 n'est pas moche. Bien au contraire : aux lignes cohérentes elle joint l'originalité. Mais les designers qui se sont penchés sur son berceau ont séché les cours d'ergonomie. Résultat, le cabriolet à tout faire (coupé, découvrable, pick-up, spider, cabriolet, citadine) n'est pas pratique. Il s'est dispersé, n'a pas voulu trancher et choisir son camp.
Quand on s'appelle Citroën, on ne peut pas s'empêcher de se risquer sur le bizarre, comme en témoigne son histoire. Entrés dans le giron de Peugeot en 1976, les Chevrons ont pourtant essayé de rester dans le rang et pendant 25 ans, ils y sont presque parvenus, avec des autos parfois sans forme comme la C5.
Mais lorsque l'on chasse le naturel, il revient au galop des chevaux qui se cachent sous le capot. Le résultat est apparu en 2003, avec un engin extraterrestre : la C3 Pluriel. Enfin, la marque avait retrouvé le goût du jamais vu, un goût qu'elle avait eu pour concevoir ses icônes, de la Traction à la SM en passant par la DS.
Cinq autos en une
Comparer la C3 Pluriel à des chefs-d’œuvre pareils est un tantinet provocateur ? Elle risque, certes, de voir la porte du Panthéon de l'automobile se refermer violemment sur son capot. En revanche, la belle idée qui a guidé à sa conception était inédite à ce moment-là, et elle est restée unique à ce jour.Car cette Pluriel, comme son nom l'indique, regroupe cinq autos en une : un cabriolet quatre places, un spider pour deux, un pick-up, un coupé et une découvrable, sur la base de la citadine C3.
Cette drôle d'idée pour une drôle d'auto est née en cette fin des années quatre-vingt-dix où tous les constructeurs s'emballent pour les petits cabriolets pas trop chers. Peugeot travaille sur la 206 CC et Citroën, l'autre marque du groupe, aimerait bien elle aussi disposer d'une petite auto rigolote.
Donato Coco, patron du design de la maison, prend l'affaire en mains. Et pas avec n'importe qui : Giorgietto Giugiaro. Pour autant, le boss d'Ital Design ne supervise pas le projet de bout en bout et agit plus en tant que consultant. Matra s'intéresse aussi à l'affaire, dans le but de fabriquer l'engin, comme il le fait à l'époque avec le Renault Espace. Ce design choral aboutit, en 1999, à la présentation d'un concept-car et, en 2003, au modèle de série, fabriqué chez Citroën en Espagne, et pas chez Matra.
Cette multitude de fées qui se sont penchées sur son berceau a-t-elle nui à la C3 Pluriel ? En tout cas, aucune d'entre elles n'a semblé envisager les aspects pratiques de l'engin. Tant qu'on se contente d'ouvrir légèrement le toit en toile de l'auto, pas de soucis. On peut même baisser la capote jusqu'au niveau de la malle arrière sans trop d'encombres, à condition d'accepter de perdre une grande partie du coffre. On roule ainsi à bord d'une auto de type "découvrable", comme Fiat en propose avec sa 500, ou Porsche avec sa 911 Targa, toutes proportions et grand écart de prix gardés. Mais ça se complique lorsque l'on veut la découvrir intégralement.
En mode cabriolet, c'est la douche assurée
Ses concepteurs ont eu une idée de génie, ou plutôt une fausse bonne idée : rendre les arches, de chaque côté de la voiture lorsqu'elle est découverte, totalement amovibles. Elles se fixent à l'avant sur le bord du pare-brise et à l'arrière au-dessus des feux et s'enlèvent en un tour de main... ou presque. C'est qu'elles mesurent près d'1m70 et pèsent 14 kg chacune. Impossible donc de les caser dans la voiture. Résultat : les deux pièces restent à la maison et le conducteur et ses passagers profitent du beau temps et du cabriolet sans elles. Jusqu'à la première averse. Car dans ce cas, tout le monde est piégé : sans arches, impossible de se mettre à l'abri sous la capote, puisque sans elles, pas question de la refermer et c'est la douche assurée.
En plus, l'intérieur de la Pluriel n'est pas celui de la Citroën Mehari qui est en plastique, entièrement lessivable et prévu pour la pluie, avec une bonde d'évacuation d'eau, comme un lavabo. La C3, quant à elle, dispose de l'intérieur classique de la berline dont elle est dérivée, avec ses sièges en tissu et son électronique. Autant d'éléments qui détestent être trempés.
Ce vilain défaut, les responsables de la marque l'avaient évidemment en tête au moment de convier les journalistes aux essais de l'engin, en ce printemps 2003. Cap est mis sur l'Andalousie, l'une des régions les plus sèches d'Europe, histoire d'éviter toute déconvenue. Mais il est des jours où le ciel n'est pas du côté de l'industrie auto française et des cordes sont tombées sur un groupe de journalistes qui, au retour des essais, étaient trempés comme une soupe, ou plutôt, comme un gaspacho.
Une découvrable sans la rigidité des découvrables
Pour éviter la douche des occupants, et pour empêcher la voiture décapotée de se transformer en piscine à débordement, on peut conserver les arceaux et transformer l'auto en découvrable, en faire un faux cabriolet en somme, et refermer la capote au premier grain.
Sauf qu'une véritable auto découvrable a un gros avantage : ses arceaux participent à sa rigidité. Pas les arches de la Pluriel, puisqu'elles sont démontables. Conçu comme un cabriolet, son châssis est renforcé, comme ses portières, lourdes comme des enclumes. L'auto, un peu moins habitable qu'une berline C3, a grossi de 130kg. Une rigidification qui reste pourtant imparfaite. En y ajoutant sa masse augmentée, la voiture n'est pas des plus agiles, surtout avec ses moteurs (essence et diesel) de 70 petits chevaux. Il faut en passer par la version essence 1,6 l de 110 ch pour disposer d'un minimum de dynamisme.
Malgré tous ses gros défauts, la C3 Pluriel a connu une carrière somme toute honorable. En 7 ans de commercialisation, de 2003 à 2010, elle s'est vendue à près de 110 000 exemplaires. Évidemment, comparée à la 206 CC et à ses 700 000 exemplaires, ce n'est pas vraiment un succès, et elle ne connaîtra aucune descendante. Mais on est loin du bide annoncé.
La beauté est imparfaite
Malgré ses arches dont on ne sait quoi faire, malgré son poids de coffre-fort, malgré ses moteurs plutôt anémiques, le curieux couteau suisse a donc séduit, et continue de séduire en occasion. Mais quelle mouche a piqué ses acheteurs ? Sont-ils nostalgiques des jouets Meccano de leur enfance et sont-ils avides de démonter et remonter les lourdes et encombrantes arches ? À moins que, et c'est beaucoup plus probable, ces amateurs de Pluriel apprécient l'une des dernières véritables innovations stylistiques autant que techniques de Citroën. Une auto parfaitement inutile, et d'autant plus charmante, comme plus personne n'ose en produire. Elle a des défauts ? Et alors. Voilà des lustres que l'on sait que la beauté n'est jamais synonyme de perfection.
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