Enquête : il faut sauver les petits garagistes
Les temps sont durs pour les petits garagistes, composantes essentielles du paysage automobile. Face aux difficultés, certains ont pourtant trouvé des moyens de continuer à avancer. Ils témoignent.
Si l’on en croit les données publiées par l’INSEE, il existerait actuellement plus de 104 175 entreprises spécialisées dans l’entretien et la réparation de voitures en France. Le secteur compte ainsi près de 295 897 salariés qui, bien que connaissant des hauts et des bas ces cinq dernières années, semble enregistrer une dynamique positive, que ce soit au niveau de l’emploi ou de la formation.
Sur ces 104 175 entreprises, il existe 33 716 réparateurs, dont 26 959 sous enseigne. Donc, seuls 6 757 mécaniciens-réparateurs, dont font partie 3 268 carrossiers, sont encore résolument indépendants et résistent encore et toujours à la mise sous contrôle par des enseignes multimarque.
Malgré un marché en progression où les Mécaniciens réparateurs automobiles (MRA) affichent une croissance de + 6 % et ce même si les produits dits techniques (freinage, amortisseurs, échappement, pneumatiques et filtres) sont en baisse de 3,1 %, le gros problème de ces indépendants c’est une situation financière souvent fragilisée par une trésorerie insuffisante et des marges de plus en plus faibles.
Ajoutons à cela une pression concurrentielle importante et un manque cruel de main-d’œuvre, et voilà nombre de garages qui cessent leur activité suite à des problèmes financiers. Des soucis qui pourraient entraîner à l’avenir une vague d’arrêts d’activité accélérés par l’obligation d’investissements lourds auxquels nombre d’entre eux ne pourront plus faire face, surtout si l’on ajoute les charges fixes et le prix de l’énergie qui ne cesse d’augmenter.
Si l’on adjoint qu’en 2022, d’après l’observatoire EBP Méca, suite à un mois de janvier à - 4,5 %, février a fini à son tour à - 4,8 %, la situation risque de devenir rapidement critique.
L’ouverture d’un garage automobile indépendant nécessite en effet un investissement de départ qui varie selon les cas entre 100 000 et 400 000 € (matériels, outillages, équipement du garage, informatique, etc.). Des chiffres qui font frémir… et à moins d’avoir un membre de sa famille qui soit garagiste et de pouvoir reprendre l’activité familiale, nombre de jeunes et de moins jeunes réfléchissent à deux fois avant de s’installer.
D’autant que depuis 2020, même si les garages ont vu leur activité dopée par le marché de l’occasion, il existe de nombreux freins à l’installation, notamment nous l’avons dit des difficultés de recrutement d’un métier qui n’attire plus et l’intensification de la concurrence des réseaux.
En règle générale, un garage qui « marche » réalise un chiffre d’affaires en moyenne de 170 000 €, hors vente de voitures neuves ou d’occasion, emploie deux salariés et réalise un taux de marge de 24 %. Ça, c’est pour la théorie. Mais en pratique…
En pratique, si l’on en croit diverses études, un garage sur trois serait menacé de fermeture dans un avenir proche.
Tout lui réussissait et pourtant…
Installé en bordure de la RN 157, à côté de l’Intermarché, le garage indépendant Ouzouer Auto, sous enseigne Renault, existait depuis 1974. Racheté en 2002 par Christophe Estevenin, il avait fait peau neuve : écran TV dans le hall d’accueil diffusant les promos des VN en boucle, atelier ouvert du lundi au samedi inclus, signalisation forte, tout était fait pour vendre.
Cette mutation, Christophe Estevenin l’avait voulu en 2011 en adoptant le panneau AD Expert. « Ils sont 25 fois plus visibles et 3 fois moins cher que Renault, nous expliquait-il à l’époque. Avec Renault, pour un minuscule panneau, je payais 300 € par mois, plus 100 € pour les CD, plus les formations… c’était sans fin. Avec AD, je règle 2 500 € par an avec la pub, la formation, et l’assistance technique comprise. »
En outre, Ouzouer Auto avait son propre site de vente sur Internet avec une gestion commerciale du site en Suisse. Le site s’accompagnait également d’un service de vente conseil. En 2010 le garage avait vendu 14 VN et 32 VO et réalisé un CA de 280 000 € avec 2 personnes et un apprenti. En 2011, c’est au moins 20 % de plus qui étaient vendus. « J’avais un catalogue de 6 000 voitures neuves et 30 marques, à des prix allant de -15 à -35 %, et aucune obligation d’exposition. Mes clients allaient essayer une voiture chez le concessionnaire et venaient l’acheter à un meilleur prix chez moi. Les ventes avaient boosté le CA, d’autant que je pouvais proposer des garanties complémentaires sur les VO. »
Tout allait donc parfaitement bien dans le meilleur des mondes pour Christophe. Tellement bien qu’au fil du temps AD Ouzouer Auto va se développer avec deux nouvelles cordes à son arc : l’aménagement de véhicules pour handicapés et de véhicules d’auto-école.
« Le marché de la réparation devenant de plus en plus aléatoire, nous raconte-t-il, il fallait trouver de nouveaux débouchés. Nous avions créé Handi-Equip-Auto en accord avec l’entreprise Pimas, spécialisée dans l’installation et l’adaptation des véhicules pour les personnes à mobilité réduite. »
Partenaire de Pimas, le garage propose alors une palette complète de produits et services. « Nous installions sur tous types de véhicules des rampes d’accès automatiques, des bras robotisés ou encore des systèmes de commandes au volant. » Dans la même optique il propose aussi des « kits auto-école » pour répondre aux besoins spécifiques des écoles de conduite : double pédalier, boîtier de prise de commande, etc. « Nous transformions également des véhicules auto-école adaptés pour les TPMR, pour former des conducteurs en situation de handicap avec une vaste gamme d’équipements et d’adaptations. »
2017 Adieu AD, bonjour contrôle technique
En 2017, Christophe Thévenin se pose des questions sur l’avenir de son garage. Successivement Renault puis AD, allait-il devoir investir encore et encore pour répondre aux besoins imposés par la législation des futurs véhicules autonomes et électriques ?
« À 56 ans, devant l’évolution technologique de l’automobile, je me suis posé la question de savoir si, dans 5 ou 6 ans, je pourrai vendre mon garage alors que la plupart de mes confrères ferment purement et simplement, faute de repreneur. Lorsque l’opportunité de le vendre à Alliance s’est présentée pour en faire un centre de contrôle technique, je n’ai pas hésité. »
Depuis sept ans, Jacques Gobert qui possédait déjà un CT à Tavers (45) cherchait à s’installer sur la commune. Pour Christophe Thévenin c’est l’occasion de poursuivre une activité tout en devenant salarié. « J’étais propriétaire des murs à titre personnel et mon activité de garagiste dépendait d’une société indépendante. J’ai donc vendu les murs, fait 6 semaines de formation puis obtenu mon agrément pour devenir le salarié de mon repreneur. » Dès la transformation du garage en CCT en février 2018, ce dernier recevait environ 115 clients par mois. Ce qui augurait une bonne rentabilité future et des soucis en moins pour notre ex-garagiste indépendant.
La voiture de collection en pleine expansion
Un constat simple peut être fait : les garagistes indépendants spécialisés dans la voiture de collection n’ont pas de soucis à se faire à conditions toutefois de proposer des services « à la carte ».
Ainsi, serveur, magasinier, ouvrier agricole, laborantin… Fernando Darocha a multiplié les expériences professionnelles avec, pour lien commun, une passion sans faille pour la belle mécanique automobile.
Profitant d’un énième plan social pour faire une formation de 9 mois au CNAV en restauration de véhicules anciens, il décide – enfin – en 2017 de passer en candidat libre un CAP de mécanicien réparateur VP qu’il obtient haut la main.
Et en 2019, il ouvre avec sa compagne, l’atelier Classicar sous forme de SAS spécialisé dans les Porsche, les Combi et les Cox. Outre la restauration et l’entretien de VP anciens et de collection, Classicar propose sur 300 m2 le gardiennage de véhicule de collection et la location avec chauffeur de Combi VW pour des événements.
« Depuis que nous avons ouvert, nous avons réalisé 80 % de restauration, dont plusieurs véhicules entièrement remis à neuf. 30 VP sont ainsi passés entre nos mains la première année et d’autres sont en conciergerie d’hivernage chez nous avec une remise en service au printemps. Un service que nos clients peuvent suivre en direct grâce à une application ‘caméra’ sur leur smartphone qui leur permet de surveiller leur voiture à distance. »
Fernando Darocha réalise également du conseil avant achat et de l’expertise pour des collectionneurs. « Je me rends au Sema Show à Las Vegas. Cela me permet d’acquérir des pièces introuvables en France. En travaillant en direct avec les fournisseurs américains, je peux me montrer compétitif. »
L’affaire de Fernando marche bien mais il offre avant tout une palette de services : transport du véhicule depuis son lieu d’achat jusqu’à l’atelier ou au domicile du client ; entretien et restauration ; stockage des véhicules dans un endroit sécurisé ; transport de la voiture jusqu’au lieu de vacances, de week-end, sur des salons de collectionneurs, etc. ; recherche de véhicules en fonction des demandes ; conseil et négociation au meilleur prix ; location pour de l’événementiel ; organisation d’expertises, etc.
Et pour bien se faire remarquer notre mécanicien a même participé en 2018 à une web-série “Ebay Mechanic Challenge” avec François Allain.
Résultat, ça marche… mais pas comme prévu au départ.
13 ans plus tard… la carrosserie ne connaît pas de limite
Contrairement aux réparateurs indépendants qui ne font que de la mécanique et qui se heurtent à de nombreux problèmes, les carrossiers indépendants eux ne connaissent pas de répit ni de soucis. Des « accidents » il y en a et il y en aura toujours. Donc, eux, auront toujours du travail qu’il s’agisse de véhicules thermiques ou électriques.
Ainsi, Vincent Joneau a ouvert sa première carrosserie tout seul en 2008. Un minuscule atelier de 30 m2, situé sur la RN 152 près de Blois. 15 ans plus tard et 200 m plus loin, le voici à la tête d’un atelier de 800 m2, plus 100 m2 de bureau où il œuvre avec 9 compagnons. Une belle réussite qu’il doit avant tout à la qualité de son travail. « Il n’y a pas de secret, nous a-t-il expliqué. Pour que les clients reviennent ou vous recommandent, il faut que le travail effectué soit non seulement propre mais parfait. »
Aujourd’hui, l’atelier est équipé de deux cabines de peinture, l’une pour les VL et une seconde de 18,5 m de long, séparable en deux sections, pour les camions porte-chars et les bus. Préalablement BestRepart, Vincent a opté par la suite de concert pour les cartes Axial et Top Truck.
Un choix pragmatique qui lui apporte quelques remises sur les pièces et un plus sur les véhicules accidentés. « L’année 2020 avait été très difficile. Nous avions perdu près de 20 % de notre CA du fait des confinements. Nos fournisseurs étaient fermés et nous avions du mal à nous procurer des pièces. 2021 a commencé en dents de scies. Avec le couvre-feu, les gens rentrent tôt et ce sont près de 40 impacts mensuels dus à des chocs avec le gros gibier que nous ne faisions plus. Heureusement, le poids lourd représentait déjà 30 % de notre travail depuis deux ans. »
Depuis lors l’activité a repris et Vincent dispose d’un camion en prêt pour les transporteurs et une Audi A1 pour les VL. Très engagée dans l’apprentissage la Sté Joneau and Co a reçu le prix Top Jeunes et Entreprise en 2019. Vincent accueille régulièrement de nouveau apprentis, dont certains en compagnonnage. « Les jeunes qui font leur tour de France sont de vrais passionnés, très impliqués. C’est un apprentissage qui ne nous déçoit jamais. »
Un avenir compromis par les voitures électriques ?
L’arrivée des véhicules électriques n’est pas une bonne nouvelle pour les garagistes indépendants. En effet, pour créer un atelier spécifiquement équipé pour la réparation des batteries électriques, il faut compter a minima un investissement de 50 000 €.
Ce type de travail nécessite une table sécurisée pour des batteries de 700 kg, un régulateur de tension à 6 000,00 €, un pont sécurisé à 4 500 €, et environ 3 000 € d’outillage isolé par modèle de véhicule. Si l’investissement est facilement rentabilisé pour des concessionnaires ou des chaînes qui auront le volume nécessaire de véhicules à réparer, il n’en est pas de même pour les indépendants. D’autant que les normes exigées induisent la séparation de l’atelier « électrique » du reste et, de plus, des techniciens spécifiquement formés certifiés B2TL qui, pour des raisons de sécurité, doivent travailler de concert donc impossible de se contenter d’une seule personne.
Pourtant, la demande de réparation est importante. Les batteries sont vendues avec le véhicule et garanties 8 ans. Par exemple, une batterie ION pour une UP vaut environ 22 000 €. Il est donc plus rentable pour son propriétaire de la faire réparer que de la changer, mais encore faut-il trouver un garage qui puisse la prendre en charge or, actuellement, seuls les concessionnaires et quelques centres auto sont équipés.
Autre inconvénient pour les garagistes indépendants, selon les marques chaque véhicule nécessite un outillage qui lui est spécifique, notamment un bornier différent. Face à cette problématique nombre d’entre eux baissent les bras et ont décidé de ne pas investir. L’échéance se rapprochant d’année en année, l’âge moyen augmentant, gageons que nos garagistes de « quartier » vont pour une grande majorité fermer leurs portes et nous laisser à terme bien désemparés.
Comment vont-ils résister ?
Résister faute de pouvoir investir reste aléatoire. Reste à se diversifier pour capter de potentiels marchés locaux soit pour résister à l’effondrement car si l’on enregistrait plus de 55 millions d'entrées-atelier en 2005, il n’en reste que 38 millions désormais.
Pas facile néanmoins pour un indépendant d’adopter une stratégie de prestations additionnelles. Pour s’en sortir il faut suivre les attentes des clients pour trouver des chemins complémentaires de rentabilité.
À court terme le véhicule de courtoisie fait partie de ces « solutions ». Très demandé par le client, un parc de véhicule de remplacement peut aussi permettre aux indépendants de proposer de la location courte durée à des vacanciers de passage.
Autre solution, empiler les enseignes comme l’a fait notre carrossier, avec le panneau d’un réseau multimarque, à celui d’un acteur VO et d’un loueur. Ou encore transformer son garage en tout ou partie en carrosserie à disposition des autres indépendants, voire faire de la réparation à domicile. Le garage se déplaçant alors chez le client. Un « service » très apprécié, notamment par les personnes qui sont en télétravail. Tout est possible lorsque l’on veut survivre dans un monde automobile en pleine déliquescence.
4 questions à…
...Pascal Brethomé, Président de la région Pays de Loire pour le syndicat professionnel Mobilians
Outre ses activités en tant que Président de la région Pays de Loire pour Mobilians, Pascal Brethomé est garagiste. Il est actuellement propriétaire de 2 ateliers de mécanique. Une petite carrosserie et un centre VO qui regroupent douze personnes, à Dompierre sur Yon en Vendée, ainsi que d’une station services Esso placée sur une quatre voies.
"A terme, les jeunes vont se muer en électro-mécaniciens"
Comment voyez-vous l’avenir du garagiste indépendant ?
Je le vois sous le signe du changement. Des changements auxquels les garagistes indépendants devront s’adapter car les gens auront toujours besoin de services de proximité, donc on aura toujours besoin de nous. Ne serait-ce que pour changer un pneu crevé ou des plaquettes de frein.
Le changement des véhicules qui passeront d’une motorisation thermique à l’électrique en 2035 et plus immédiatement la création des zones sous étiquette Crit’Air qui laissent nos clients désemparés. Ajoutez à cela que de plus en plus de voitures sont en boîte automatiques ce qui demande un savoir-faire un peu différent puisque les boîtes automatiques doivent être vidangées. Un travail qui induit l’achat d’un outil spécifique donc un investissement de 5 à 10 000 €. Face à tout cela, il est clair que la profession va devoir s’adapter.
Donc un indépendant, soit il va devoir essayer de faire partie d’un réseau qui lui paraît cohérent, qu’il lui apportera une image et des flux dans son garage, soit il restera indépendant mais son avenir va être très compliqué.
Comment un garagiste indépendant peut-il rentabiliser son activité actuellement ?
Souvent les garagistes indépendants sont multi-services. Ils font un peu de vente de VO, du lavage, de la carrosserie, du dépannage. Tout ça mis bout à bout apportait jusque-là un résultat de l’ordre de 2 % du CA. Désormais, il faut que toutes ces micro-activités deviennent rentables ce qui induit une bonne utilisation des outils de gestion. Il faut se poser aussi les bonnes questions. Est-ce qu’une station de lavage avec une seule piste n'est pas mieux dans l’enceinte de l’entreprise, où elle coûtera moins cher en électricité, en eau, en réparations diverses et variées, plutôt qu’en libre-service avec toutes les dégradations qu’elle peut subir ? Par exemple. Il faut savoir faire les bons choix. Mais surtout il faut savoir communiquer et se faire connaître. C’est souvent la clé du succès.
Comment ces garagistes indépendants peuvent-ils assurer leur succession ?
Il faut la prévoir. Dans mon entreprise, ma fille de 23 ans s’occupe du parc VO, mon neveu qui a 33 ans a pris en charge l’intégralité de la gestion de l’un de mes ateliers. Et j’ai un autre responsable d’un petit garage qui a 33 ans aussi. Tous mes salariés actuellement ont moins de 35 ans. Au fil du temps j’ai remplacé tous les salariés, qui partaient en retraite ou qui ne voulaient pas évoluer, par des jeunes susceptibles de prendre ma succession.
Comment ces jeunes perçoivent-ils leur avenir dans ce métier ?
J’explique bien à mes apprentis dès le départ que leur métier va changer. Mais qu’il faudra qu’ils aient malgré tout une formation dans les motorisations thermiques et le véhicule global. Les jeunes ont conscience qu’il leur faudra se former tout au long de leur carrière pour devenir à terme plus des électro-mécaniciens que des mécaniciens. Et à cette condition l’avenir leur est ouvert.
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