DESIGN BY BELLU - Giorgetto Giugiaro, designer du siècle ? : "Giugiaro se plaît à explorer des architectures inédites, à pratiquer l’art de la rupture".
Alors que Giorgetto Giugiaro célèbre son quatre-vingtième anniversaire au cours de l’année qui s’achève, quel a été l’apport véritable au design automobile de celui que l’on nomme « le designer du siècle » ?
Quand il sort diplômé des beaux-arts de Turin, en 1955, Giorgetto Giugiaro commence discrètement sa carrière professionnelle chez Fiat. Il n’y reste que quelques années et c’est chez Bertone qu’il va s’épanouir en seulement cinq années, entre 1960 et 1965.
Giugiaro a la vitalité de ses vingt-deux ans quand il est embauché. Ses créations se suivent à un rythme effréné en laissant des traces indélébiles dans l’histoire de la carrosserie : Gordon GT, Alfa Romeo 2000 Sprint et Giulia Sprint GT, Simca 1000 Coupé, BMW 3200 CS… Il habille avec élégance et brio des mécaniques de légende, présumées intouchables : une Aston Martin DB 4 GT et une Ferrari 250 GT Berlinetta. Il n’a peur de rien.
Il montre encore mieux son impertinence dans ses premiers concept-cars : la Testudo en 1963 et surtout la sublime Canguro sur un châssis Alfa Romeo Giulia TZ en 1964.
À la fin de l’année 1965, Bertone engage Marcello Gandini, autre talent considérable, mais les deux hommes - qui ont exactement le même âge - ont des personnalités opposées… Gandini est introverti et ombrageux autant que Giugiaro se montre expansif et volubile. Pas question de les faire cohabiter.
Giorgetto Giugiaro part chez Ghia où il laisse son empreinte sur deux monuments : la Maserati Ghibli et la De Tomaso Mangusta.
En 1968, il fonde sa propre maison, la SIRP (Studi Industriali Realisazzione Prototipi SpA), raison sociale sous laquelle se cache le label « Ital Design ». Il s’assure de la complicité d’un groupe d’ingénieurs formé de Gino Boaretti, Luciano Bosio et Aldo Mantavoni.
Ital Design change l’image de la carrosserie traditionnelle italienne qui oscille alors entre deux pôles, entre Pininfarina le sage et Bertone le provocateur. Contrairement à ses aînés qui assurent aussi la fabrication de petites séries, Giugiaro se consacre uniquement à la création.
Le premier acte de foi d’Ital Design, dévoilé en 1968, est une sculpture radicale, la Manta basée un châssis Bizzarrini, mais c’est plutôt pour leurs modèles de grande diffusion que les constructeurs consultent Ital Design.
Dans les années 1970, le design italien est en verve. Ettore Sottsass et Gae Aulenti sont en haut de l’affiche au Musée d’art moderne de New York dans le cadre de l’exposition Italy : the domestic landscape. Artemide lance la lampe Tizio, Olivetti la calculatrice Divisumma. Sur tous les fronts de la création, l’Italie resplendit. Luchino Visconti signe Mort à Venise, Luciano Fabro achève sa série de pieds de dinosaure en marbre et soie, Luciano Berio compose le Concerto pour deux pianos et orchestre, Renzo Piano achève le Centre Georges Pompidou…
Giorgietto Giugiaro explose pendant cette décennie. En 1971, il signe l’Alfasud étonnante de modernité et trois ans plus tard la Golf qui coupe les ponts avec le passé. À une époque où la morosité plane sur l’industrie, la Golf apporte une réponse revigorante sous la forme de la GTI. En 1974, Ital Design conçoit le premier modèle avec lequel Hyundai va s’émanciper.
Giorgetto Giugiaro bouscule à nouveau les conventions avec la Fiat Panda qui apparaît en 1980. Elle réinvente le concept de la voiture minimaliste avec son style sans fioritures, ses surfaces simples, son intérieur fonctionnel, ses sièges tendus de tissus synthétique lavable…
Giugiaro se plaît à explorer des architectures inédites, à pratiquer l’art de la rupture. En 1976, pour un concours lancé par le Musée d’art moderne de New York, Ital Design conçoit un monospace au rapport habitabilité / encombrement exceptionnel.
À l’opposé, la Medusa (avril 1980) est une berline aérodynamique à moteur central remarquable par ses volumes superbement modelés, prémonitoires dans leur traitement.
En 1982, il va plus loin avec la Capsula qui aborde la question du monospace sous un angle singulier : l’habitacle est posé au-dessus d’un plancher surélevé sur une infrastructure qui renferme des espaces de rangement.
Giorgetto Giugiaro diversifie son activité pour exercer son art dans une multitude de secteurs. Il imagine des appareils photos pour Nikon, des téléviseurs pour Sony, des flacons pour Shiseido, des vedettes pour Tulio Abate... sans oublier la « marille », une pâte alimentaire pour Voieillo.
Sa faculté d’adaptation est saisissante ; Giugiaro saupoudre son œuvre de machines sportives comme les Maserati Bora et 3200 GT, la Lotus Esprit et la BMW M1, mais ce n’est pas sur ce registre qu’il est le meilleur.
Progressivement, Giorgetto Giugiaro partage la marche de l’entreprise avec son fils Fabrizio Giugiaro. L’année 2009 marque un tournant. Après le krach boursier, les victimes tombent. Les carrossiers italiens sont en péril. Les constructeurs européens et américains renoncent à consulter les designers indépendants. Les carrossiers italiens voient leur avenir se boucher. Les constructeurs européens les consultent de moins en moins pour concevoir leurs nouveaux modèles et ne les sollicitent plus pour assurer les productions marginales.
Devant la désaffection de leurs partenaires historiques, la plupart des designers italiens parient sur la Chine… tout en sachant que l’état de grâce ne sera pas éternel.
En mai 2010, Giorgetto Giugiaro et son fils Fabrizio cèdent à Audi plus de 90 % de la société Italdesign. En juin 2015, ils abandonnent leurs dernières parts et se retirent complètement de l’affaire.
Dans la foulée, en septembre 2015, il fonde avec son fils Fabrizio une nouvelle société intitulée GFG.
Les Chinois, de Techrules à Envision Energy, deviennent les principaux clients de la nouvelle entité.
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