Chronique du confiné – semaine 7 : où les voitures d’essai produisent de curieuses réactions
Une belle auto peut rendre agressif ou curieux. Elle traduit des convictions politiques ou suscite des retombées en enfance. Mais elle peut aussi se révéler trop exiguë pour embarquer un violoncelle et sa violoncelliste.
Au 45e jour du confinement, le confiné a décidé de compter à l’envers. Mais s’il est à J-11 du déconfinement, il tient malgré tout à remonter le temps, et arrêter le compteur à une époque où la perspective de pouvoir se déplacer dans un rayon de 100 km sans attestation ne le mettait pas dans cette joie qui le transporte depuis deux jours. Une joie de fuir un ado cramponné pour la première fois de sa vie à un direct de l’Assemblée Nationale en mode « vas-y Édouard, annonce la fermeture des lycées jusqu’à Noël » ? Pas seulement. Il en va aussi du dégourdissement des pneus, ceux qui craquellent sur les jantes de son auto, trop peu utilisée depuis trop longtemps. Alors va pour 100 km, qui sont toujours mieux que moins.
Une Jaguar peut rendre agressif
Pour autant, les grandes échappées bagnolesques ne sont pas toujours le lot quotidien de l’essayeur. Pour quelques road-trips Caradisiac et quelques aventures dûment encadrées par les constructeurs, combien d’essais doivent en passer, avant d'atteindre des routes dégagées, par des bouchons parisiens ou banlieusards ?
C’est ainsi que le confiné avait emprunté il y a quelques années une Jaguar XK-R, plutôt magnifique, mais plutôt moins jolie que l’actuelle F-Type R. En tout cas, ce jour-là, l’auto ne semblait pas du goût de ce passant qui, traversant un passage piéton devant le feu rouge parisien où l’anglaise s’était arrêtée, s’est ravisé. Le voilà qui fait demi-tour, et à la hauteur de la voiture, crache très consciencieusement sur le pare-brise avant de poursuivre son chemin, le plus tranquillement du monde.
Comment réagir dans ce cas-là ? La première option, libérale, consiste à descendre de voiture et à expliquer au malotru qu’il n’a aucun respect pour le dessin de Ian Callum (les puristes expliqueront que les lignes de la XK sont signées Geoff Lawson, mais le restylage de ce jour-là était bien celui du grand Ian qui a fait ce qu’il a pu). La seconde option, plus à gauche, consiste à expliquer au cracheur que son geste est éminemment politique et respectable, mais que la voiture n’est qu’un emprunt au grand capital, et que le pauvre travailleur-essayeur se contente de faire son job, en attendant des jours meilleurs et des grands soirs encore plus doux. Très extrême-centriste ce jour-là, l’essayeur s’est contenté de redémarrer lorsque le feu est passé au vert.
Mais les voitures d’essai ne suscitent pas toujours une franche hostilité, même de la part des forces de l’ordre des bords de route. L’essayeur souffrant, comme de nombreux conducteurs, d’une paranoïa aiguë en croisant des uniformes, tente systématiquement de se remémorer en une fraction de seconde à quelle vitesse il roulait l’instant d’avant. C’est donc toujours d’un coup de volant peu rassuré qu’il obtempère lorsqu’un képi lui intime l’ordre de se ranger.
Ce jour-là, c’est à bord de la première génération du coupé cabriolet Mercedes SLK qu’il vint à en croiser trois et à se voir sommer de s’arrêter. Ces messieurs avaient deux bonnes raisons de l’y contraindre : ils s’ennuyaient et étaient passionnés d’autos. Discussions, présentations des « documents afférents au véhicule » et les voilà tournant autour de la voiture, l’inspectant de l’avant à l’arrière et, à l’invitation de l’essayeur, s’installant au volant et sur le siège passager.
Les gardiens de la paix et des routes se sont instantanément transformés en gamins un soir de Noël et se retenaient, uniforme oblige, de lancer des « vrrrooooom-vrrrrooom » en secouant le levier de vitesses. Un moment d’exception ? Pas vraiment. L’expérience s’est même reproduite assez souvent, du moins lorsqu’un gendarme ou un policier croise une auto inconnue de lui, ou seulement entrevue dans les médias.
En Audi TT, la place est comptée
Évidemment, l’essayeur n’essaie pas que des autos d’exception, tant s’en faut, mais lorsque c’est le cas, l’effet escompté n’est pas toujours celui que l’on s’imagine. Ainsi, cette fois où il prit possession du coupé Audi TT de première génération.
Il avait à ce moment-là quelque vue sur une demoiselle très bien de sa personne, mais dont le violon d’Ingres était le violoncelle. Le conservatoire où elle répétait était dans une banlieue un peu éloignée ? Aucun problème. Il n’est pas question qu’elle prenne le RER pour rentrer. Voilà le fier à bras patientant au volant devant une maison de la culture à l’architecture aussi soviétique que fonctionnelle. La violoncelliste arrive, son instrument à la main. Mais l’engin, dans sa housse rigide, n’a jamais trouvé sa place dans le coupé. Ou plutôt, il n’y avait de place que pour lui. L’instrumentiste s’en est retournée à Paris en RER et l’essayeur a tenté de converser avec l’étui pendant le trajet du retour. En vain.
Aujourd’hui, entre une suite de Bach pour violoncelle et une peur du gendarme remise au goût du jour à chaque sortie de confinement même dûment attestée, l’essayeur sans essai attend le 11 mai pour se dégourdir les pneus, pour se départir d’un document justifiant l’achat d’une baguette mais aussi pour se divertir les yeux vissés sur un horizon identique depuis le 16 mars.
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