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Carlos Ghosn à l'ombre des gilets jaunes

Dans Economie / Politique / Personnalités

Jean Savary

Si Carlos Ghosn croupit en prison, ce n'est par respect de la tradition judiciaire nippone. Ce que paye le patron superstar, c'est d'abord la tutelle de l'Etat français sur Nissan, devenue insupportable pour les Japonais. Pourquoi Emmanuel Macron n'intervient-il pas pour exiger sa libération ? Parce qu'en pleine révolte sociale, on ne prend pas le parti d'un patron riche soupçonné de fraude...  

Carlos Ghosn à l'ombre des gilets jaunes

Autant avouer d'emblée que je ne suis pas très à l'aise avec le bonhomme. On m'a souvent reproché d'être partial à son égard ou, pour être précis, à son encontre. Pas faux, je lui ai souvent esbigné le portrait, comme ici ou et n'en regrette pas le moindre mot.

Plus que sa morgue inépuisable ou son colossal salaire, c'était son mépris du client qui me déplaisait. Trop de pannes dues aux économies de bout de ficelles du grand "cost killer", des promesses de fiabilité jamais tenues et un SAV dressé pour mordre le client mécontent, c'est pour moi le bilan de Carlos Ghosn chez Renault.

 

César Carlos trahi par celui qu'il éleva...

Carlos Ghosn à l'ombre des gilets jaunes

Mais aujourd'hui, qu'il est en prison, je ne peux m'empêcher de trouver son sort cruel et même injuste.

L'histoire est sordide ; le big boss a été trahi par celui qu'il avait élevé à la tête de Nissan, Hiroto Saikawa, qui, à la fois Judas et Brutus, déclencha une enquête interne contre lui, transmis les résultats à la justice japonaise, puis, devant la presse au grand complet, le condamna avant tout jugement.

Depuis, le bonhomme croupit à l'étage des condamnés à mort. Cellule de 6 m2, futon par terre, trois bols de riz par jour, deux douches par semaine, rasage interdit, privé de contact avec sa famille. Motif de ce traitement digne d'un yakuza ou d'un terroriste ? Fraude fiscale et abus de bien sociaux. Pas des broutilles certes, mais est-il indispensable de le maintenir au gnouf dans d'aussi avillissantes conditions et cela jusqu'après Noël ? La justice française s'exercerait-elle aussi sévèrement pour un cadre japonais de Renault fraudant le fisc et tapant dans la caisse ? Je me souviens d'un patron nippon qui avait empoché des aides publiques puis fermé l'usine sans jamais avoir été inquiété.

Au risque de me faire insulter - l'époque s'y prête - je trouve ce traitement scandaleux.

 Même au Japon, on se pose des questions sur cette incarcération dure et infamante. On note aussi que les patrons de Takata, Toshiba et Olympus, impliqués dans pareils scandales, n'ont jamais passé une seule nuit en prison. Contrairement à ce qu'affirme la justice nippone, c'est bien un traitement d'exception qui est administré à Carlos Ghosn.

 

Au gnouf, le prestige et la puissance de la France !

Carlos Ghosn à l'ombre des gilets jaunes

Comment notre gouvernement peut-il tolérer qu'un tel sort soit fait au plus connu des patrons français ? Comment l'homme qui a sauvé Nissan et redressé Renault, développé Dacia, conquis Lada et Mitsubishi, puis fait de l'alliance le premier constructeur mondial, peut-il être l'objet d'un traitement aussi dégradant ? Aucune protestation officielle sur la disproportion entre gravité de l'accusation et conditions de détention, aucun rappel d'ambassadeur, aucune menace de sanction, juste de timides demandes d'informations.

Cela me stupéfie : au-delà de l'homme, il y a le symbole et le passeport ! Ce que dit de la France, de sa puissance et de son prestige, ce silencieux embastillement est consternant.  

Il faudra bien, un jour, expliquer pourquoi l'Etat français, notre gouvernement et Emmanuel Macron lui-même, interviennent si timidement.

J'ai lu que Carlos Ghosn payerait ainsi son opposition quasi systématique aux desiderata de l'Etat en matière de réindustrialisaton et d'emploi. Et aussi son interminable bras de fer de 2014 avec Macron, ministre de l'Economie qui lui imposa la montée de l'Etat au capital de Renault afin de bloquer toute velléité d'émancipation de Nissan.

 

De l'exemplarité pour les gilets jaunes

 Je ne crois pas beaucoup à cette thèse de la vengeance. En revanche, il est probable que cette cavalière et capitalistique offensive française et les fortes rancœurs qui en résultent côté nippon soient à l'origine de l'offensive du management de Nissan à l'encontre de son tout-puissant big boss, emblème de la tutelle française. La firme japonaise, qui pèse désormais plus lourd que Renault, veut retrouver son autonomie et ne supportait plus l'encombrant Carlos.

Et il est tout aussi probable que si l'Etat français n'a pas volé au secours du patron star, ne serait-ce que pour exiger des conditions plus décentes d'incarcération et le droit de voir sa famille, c'est pour cause de gilets jaunes.

Comment, alors que le peuple en chasuble bloque le pays en réclamant la baisse des taxes, la hausse du Smic, le rétablissement de l'ISF et sa démission, Emmanuel Macron pourrait-il lever le petit doigt pour le plus goinfre et le plus clinquant des patrons, putatif fraudeur qui plus est ? Il ne le peut pas, ce serait un message désastreux, une insulte aux révoltés du pouvoir d'achat.

Carlos Ghosn à l'ombre des gilets jaunes

C'est pourquoi Carlos Ghosn doit prier pour que les porteurs de gilets jaunes obtiennent satisfaction et le remettent dans la boîte à gants.

En attendant, je persiste à trouver dommage qu'il n'ait pas émis les mêmes vœux pour tous ceux qui ont été obligés de l'enfiler, ce gilet jaune, après la panne de leur Laguna, Scénic, Espace, Mégane...

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