Chez Skoda, on sait fêter dignement les anniversaires. Pour les dix ans de sa gamme RS (ou vRS de l'autre côté de la Manche), le constructeur tchèque n'a pas voulu tomber dans la facilité du bête gâteau. Non, il s'est dit plutôt que battre un record de vitesse marquerait plus le coup. Surprenant en ces temps de green washing à tout crin, mais les premiers étonnés ont été à la direction de la marque, l'initiative venant de la division britannique restée discrète jusqu'au dernier moment. Le projet aurait-il été validé si les hautes sphères en avaient été informées en amont ? Rien n'est moins sûr, ce qui n'est pas sans rappeler le projet Juke R fomenté dans l'ombre une fois encore par l'antenne anglaise de Nissan et que nous avions aussi pu conduire.
L'idée complètement folle était donc de traverser l'Atlantique et une bonne partie des États-Unis pour parachuter une Octavia RS dans l'Utah, en plein milieu du mythique désert salé de Bonneville, théâtre de nombreux records depuis des décennies. Chaque année, la SCTA (Southern California Timing Association) y organise en effet la bien nommée Speed Week durant laquelle s'affrontent dans un nombre incalculable de catégories les véhicules les plus rapides de la planète. Ce dont ne fait pas partie, soyons honnête, une Octavia toute RS qu'elle soit, donnée pour 240 km/h en pointe.
D'origine en tout cas. Une minuscule équipe de trois personnes a été chargée de la transformer pour lui permettre d'être compétitive dans la catégorie G/PS : le G pour la cylindrée du moteur comprise entre 1,5 à 2,0l, et le PS pour « Production Supercharged », ce qui autorise la suralimentation, impose du carburant (presque) classique et interdit toute modification de carrosserie. Ce qui laisse tout de même quelques libertés pour le reste.
Après trois semaines de travail intensif jour comme nuit, voici le résultat.
Les panneaux de carrosserie restent donc entièrement d'origine, les rétroviseurs sont maintenant aux abonnés absents, la caisse est rabaissée de 80 mm grâce à des combinés K&W et la majorité de l'intérieur disparaît au profit d'un arceau tentaculaire. Passons rapidement sur ces détails insignifiants pour nous attarder maintenant sur le cœur de la bête : son moteur. Quand on ne peut toucher à l'aspect aérodynamique d'une voiture, il n'y a qu'un recette pour aller vite : ajouter des chevaux par centaines. Pour cela, le 2,0l TSI semblait être une excellente base. Aussi incroyable que cela puisse paraître, seules les bielles ont été remplacées par des éléments forgés de chez Integrated Engineering, le bloc, les pistons, les soupapes, les arbres à came, le vilebrequin, le joint de culasse, les bobines d'allumage et la gestion électronique restent eux d'origine, ayant été jugés aptes à encaisser la véritable punition délivrée par un turbo Garrett GT3562R soufflant à 2 bars. L'admission, l'échappement et le refroidissement ont bien sûr par contre été entièrement revus, surtout ce dernier qui écope de la lourde tâche de garder la mécanique au frais à des températures largement supérieures à 40°C, et une seconde rangée d'injecteurs commandée par une gestion électronique parallèle et deux pompes à essence viennent prêter main forte pour gaver les cylindres de carburant plombé à 120 d'octane. Le résultat ? Entre 550 et 600 ch à près de 8 000 tr/min aux seules roues avant.
Puisqu'on parle de la transmission, le choix s'est porté sur une boîte de vitesse mécanique à six rapports d'Octavia... Greenline, ses rapports longs comme un jour sans pain se trouvant être ironiquement idéaux pour l'exercice, un embrayage à quatre patins et un différentiel à glissement limité GripperDiff se chargeant de faire fusible. A moins que ça ne vienne plutôt des roues : au revoir les jantes alliage de 18 pouces en série, la Greenline fournit cette fois-ci quatre galettes en tôle de 15 pouces et 4,5 de large recouvertes d'enjoliveurs Moondisc du plus bel effet et ceinturées par des pneus Goodyear Eagle Land Speed. Mais la générosité de l'Octavia verte ne s'arrête pas là puisqu'elle offre aussi ses disques et étriers avant. Pas de frein à l'arrière par contre, mais un parachute Simpson se chargera de ralentir le tout avant d'arriver au bout du désert, avec un peu de chance.
Le 19 août 2011 à 7h45, le succès est au rendez-vous : la Skoda Octavia vRS Bonneville Special, avec à son volant Richard Meaden, journaliste chez Evo, atteint 365,43 km/h, battant de 18 km/h le précédent record datant de 1998 et détenu par une Mitsubishi Galant.
C'est donc une averse typiquement britannique giflant les vitres de ma chambre de l'hôtel Kilwork Horse, à quelques encablures de Birmingham, qui se charge de me réveiller ce matin-là. Pas vraiment la météo idéale pour essayer une traction de 600 ch dépourvue de toute assistance. Et l'arrivée sur les bords de la ligne droite de l'ancien aérodrome de Bruntingthorpe, d'où décollaient les bombardiers Vulcan pendant la Guerre Froide, n'est pas plus rassurante, avec une fiche à remplir pour préciser qui contacter, rédacteur en chef, mère ou épouse, en cas d'« incident » échangée contre une combinaison ignifugée homologuée FIA.
Pourra-t-on compter sur l'effervescent Ricky Elder au débit de mitraillette, un des ingénieurs chargés du projet au front barré d'une frange à la Justin Bieber, pour être rassurant ? Pas vraiment : « on a remis les roues d'origine de vRS pour pouvoir remonter son système de freinage... le boîtier d'ABS qui pend ? Oui, il est déconnecté mais on n'a pas eu le temps de le débrancher complètement. Faudra appuyer fort sur la pédale hein, les freins ne sont plus assistés au fait ». Montrant du doigt l'absence d'essuie-glaces alors que la pluie continue de tomber, il répond en haussant les épaules : « ne vous inquiétez pas, on a mis du Rainix [NDLR : produit pour chasser les gouttes de pluie du pare-brise] » avant de conclure en se frottant les mains : « en tout cas, j'ai hâte de voir ce que ça donne, on a aussi remonté la boîte de vitesse de vRS pour tirer plus court, la piste étant moins longue ». Son compère, Nick Kasberger, spécialiste de la programmation prêté par le tuner Revo Technik et affectueusement surnommé « Boss of Boost », en rajoute une couche : « Avec la température et l'altitude bien plus basses qu'à Bonneville, on doit avoir plus de 650 ch » confie-t-il en souriant tout en vidant un jerrycan frappé d'une tête de mort dans le réservoir de la berline. Peut-être qu'ils le font exprès, en fait.
Il est temps de se sangler vigoureusement dans le très affectueux baquet entièrement métallique après s'être contorsionné dans le véritable échafaudage constitué par l'arceau réglementaire. Ricky, pour qui les plaisanteries les meilleures sont les plus longues, finit de faire monter la pression en indiquant comment couper l'alimentation électrique et déclencher les extincteurs automatiques en cas d'incendie, avant de mettre à feu la bouillonnante mécanique visiblement très irritée d'être ainsi réveillée, avec un ralenti chaotique.
La porte se referme dans un bruit creux. J'ai droit à six runs, soit trois allers-retours de la ligne droite de 3 km de long, avec comme consigne d'augmenter progressivement la vitesse. La pluie a cessé, mais le tarmac bosselé reste humide avec même quelques flaques d'eau ici et là. La très longue tige du pommeau de vitesse à main gauche n'apporte pas une précision diabolique, c'est le moins que l'on puisse dire, avec une course désespérément longue. Pour être honnête, elle me rappelle presque l'Isetta dont j'ai pu prendre le volant lors d'un Conflit de Générations, mais en touillant un peu dans les pignons, je finis par trouver enfin la première.
Parvenant à décoller par miracle sans caler, le moteur rappelant ses plus de 300 ch par litre en hoquetant grossièrement sous 3 000 tr/min, je fais une première longueur sans dépasser les 120 km/h pour me familiariser avec la furieuse Skoda. Elle se montre assez docile à ses régimes, aucun problème d'adhérence et l'embrayage au plancher se révèle très souple. Contrairement aux freins qui nécessitent un mollet d'acier.
Prenant confiance, je termine mon quatrième passage à près de 200 km/h et décide enfin d'aller voir ce qu'il passe au delà des 5 500 tr/min, cap fatidique où l'énorme turbo a fini de s'éclaircir la voix. En troisième, je soude la pédale de droite au plancher jusqu'à ce que la série de diodes vertes passe au rouge et le train avant entier se décale dans l'instant le temps de rentrer la quatrième. Les observateurs extérieurs me diront plus tard que la voiture entière a fait une translation latérale de plusieurs mètres, salué par un nuage noir d'essence imbrûlée. Rien n'y fait, les roues patinent encore, j'ai enfin trouvé pire qu'une Saab 9-3 Viggen.
La poussée est violente et continue, comme un avion de ligne au décollage, et ne s'arrête qu'à 8 000 tr/min dans un bruit assourdissant. Retenant ma respiration et crispant un peu plus les doigts sur le volant tulipé, je passe la cinquième que je pousse jusqu'au bout. La fin de la piste est en vue, il est temps de se jeter sur la pédale du milieu. Le verdict : 240 km/h sans même utiliser la sixième, à 8 km/h de la plus grande vitesse réalisée par la Skoda sur cette piste mais à peine aux deux tiers du record établi à Bonneville.
Après le déjeuner, le temps que l'adrénaline baisse, le même exercice est proposé avec une Skoda Octavia vRS d'origine. Trois fois moins vigoureuse certes, mais entre temps la piste a eu le temps de sécher, toute la puissance est exploitable, la commande de boîte plus précise autorise les passages de rapport virils et les freins assistés et avec ABS permettent de prolonger bien plus l'accélération. Nouveau verdict une nouvelle fois à fond de cinq : 232 km/h.
Il est temps de reprendre l'avion pour la France. C'était une bien belle fête d'anniversaire : pas de gâteau certes mais un véritable feu d'artifice. Après le Juke-R et cette Skoda, qui sera le prochain docteur Frankenstein à créer un nouveau monstre ?
Twitter : @PierreDdeG
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