_ La privatisation des PV, qu’est-ce que c’est vraiment ?
Rares sont les personnes n’ayant pas déjà vécu cette situation : le soleil brille, les oiseaux chantent, vous marchez d’un pas léger vers votre voiture stationnant dans la rue et vous la retrouvez décorée d’une contravention pour non affichage du ticket horodateur ou dépassement du temps de stationnement. Avec ce papillon, 11€ viennent de s’envoler de votre poche. Qui a dressé cette amende ? Qui va l’encaisser ? Pour l’instant vous êtes tellement agacé que vous n’en avez pas grand-chose à faire, mais pourtant, cela pourrait devenir bientôt bien pire…
Aujourd’hui, comment c’est ?
L’argent du stationnement sur la voirie est perçu directement par la Mairie. Par contre, c’est pour le moment l’Etat qui fixe le montant des amendes, 11€ donc pour une occupation d’une place payante sans titre valable, et c’est l’Etat aussi qui les encaissent. Les contractuels sont des agents assermentés, chapeautés par la Police Municipale.
Et demain ?
Dès l’année prochaine, un projet de loi pourrait être adopté pour dépénaliser le stationnement payant sur la voirie, le faisant passer d’une mesure de maintien de l’ordre à la simple occupation du domaine public sous forme de redevance, un peu comme une location d’espace. Cette dépénalisation sera assortie d’une décentralisation. Qu’est-ce qu’il se cache derrière ces mots barbares ? Tout simplement que la gestion du stationnement sur la voirie sera alors à 100% dans les mains de la mairie, amendes comprises. Le montant de ces dernières seront alors fixé par le Maire et cela pourra largement varier d’une ville à l’autre.
Mais on sait déjà qu’en grande majorité, la tendance ira vers l’augmentation, d’abord pour s’aligner avec la moyenne européenne tournant plutôt autour des 24/25€, la France étant même le pays où le rapport entre l’amende encourue et le prix de la première heure de stationnement est le plus faible de l’UE. Un tarif pas assez dissuasif dont la conséquence la plus directe est que seuls 4 automobilistes sur 10 respecteraient la réglementation en vigueur sur le stationnement.
Rassurez-vous, il existera quand même une limite, celle de 35€, qui est le montant de l’amende pour stationnement gênant. Il ne faudrait pas que les places payantes soient désertées au profit d'un passage clouté ou d'une porte cochère, n'est-ce pas ?
Ce qu’il y a de plus inquiétant par contre, c’est que les mairies auront la possibilité de mettre sous concession la gestion du stationnement sur la voirie en faisant appel à des entreprises privées, tout comme c’est déjà le cas pour les parkings souterrains ou fermés. La seule nuance, et elle est de taille, c’est que dans ses derniers, à moins de forcer une barrière, il n’est pas possible de stationner sans payer, ce qui l’est sur la voirie.
Ces entreprises privées auraient donc non seulement à gérer le stationnement en lui-même, mai aussi sa surveillance et la distribution des PV. Sans parler du recouvrement même des amendes : les futures pervenches ne seront donc plus des agents municipaux, mais des employés privés, et ce n’est plus le Trésor Public, mais le service contentieux de ces sociétés privés qui serait chargé de vous réclamer les amendes non payées…
L’exemple britannique
Voilà déjà 17 ans que la Grande-Bretagne a commencé la décentralisation de son stationnement, ce qui offre un excellent exemple d’expérience avec tout le recul nécessaire. Pourtant, fin 2006, seuls 157 des 388 councils d’Angleterre et de Galles avaient évolué vers ce système, le reste des collectivités locales craignant l’apparition de certains problèmes, comme la difficulté pour fournir l’important investissement initial, des difficultés opérationnelles difficilement prévisibles, la crainte d’une perte d’attractivité des centres villes à cause du durcissement des sanctions ainsi que celle de comportements répressifs abusifs par les entreprises délégataires. Last but not least, il faut y réfléchir à deux fois avant de sauter le pas, car une fois le seuil de la dépénalisation franchi, il est impossible de revenir au système pénal.
Conforme à toutes les prévisions, le premier bilan montre que les automobilistes britanniques subissent de grandes inégalités suivant leurs lieux de résidence : si la plupart des collectivités le système ne génère pas de profit, d’importants revenus croissant chaque année peuvent être produits dans certaines grandes villes, ce qui a eu pour conséquence, une fois leurs montants révélés au grand public, de rendre très impopulaire le système dépénalisé. Il est vrai que dans certaines villes, le stationnement sur la voirie est devenu une véritable manne financière, commençant curieusement aux salaires des agents de contrôle.
En effet, recevant un salaire particulièrement bas, ceux-ci ont motivés par des primes que les employeurs déterminent en fonction du nombre de contraventions établies. Ajouté à un manque total de formation, ces agents sont devenus particulièrement détestés à tel point qu’à Londres, et à Londres seulement, 3 d’entre eux sont agressés par jour.
Conscient de ces énormes disparités, le Département des Transports s’est lancé en 2004 dans une refonte complète du système et dont les décrets d’application sont toujours en préparation, dans un but d’assainissement et de transparence au niveau national.
Annemasse, la ville test
En France, Annemasse est une des premières villes à avoir confié la gestion de son stationnement sur la voirie à une entreprise privée, SAGS, dans le cadre d’une délégation de service public et qui, en échange, finance et construit deux parcs de stationnement à ses frais. Comme nous l’a expliqué Philippe Colomb, de la mairie d’Annemasse, la durée de cette concession est de 25 ans, ce qui représente le temps nécessaire à l'amortissement financier des investissements.
Evidemment, en attendant que la loi passe, la gestion des amendes se fait toujours par l’Etat, mais les agents chargés de la surveillance, même s’ils sont assermentés et toujours dirigés par la police municipale, sont payés par SAGS, la ville servant d’intermédiaire.
Contrairement à ce qu’on serait en droit de craindre, Mr Jean-Laurent Dirx, PDG de SAGS, contacté pour l’occasion, nous assure qu’aucune prime de rendement n’est offerte aux agents : « Aucun quota de contravention est imposé. Au contraire, le message est clair, la contravention est tout sauf un critère de performance. Nous (la ville et SAGS) préconisons la présence sur le terrain, des passages réguliers afin d'inciter les usagers à respecter. Respecter la réglementation, c'est respecter la durée de stationnement autorisée (2 heures en centre ville) et permettre la rotation et l'accessibilité au centre ville. Ainsi, le nombre d'agents a été augmenté pour augmenter la fréquence des passages. »
Cela se traduit par une omniprésence des agents dont le nombre est passé de 2 à 8 pour arpenter le centre ville pourtant petit et une tolérance proche de zéro, ce qui vous pourrez constater par vous-même dans la vidéo tournée sur place. Et si le coût du stationnement horaire n’a pas changé, celui de l’abonnement a tout simplement doublé, passant de 15 à 30€.
Et demain, quelle autre ville ?
Selon un sondage Parkopolis réalisé en 2002, 62% des maires des grandes villes seraient fortement intéressés pour récupérer la totalité de la gestion du stationnement sur leurs voiries. Parmi celles-ci, on retrouve Paris, qui se serait déjà montré très enthousiaste pour privatiser les PV sur son territoire. Un membre de l’équipe municipale aurait même annoncé qu’ils passeraient à 20/25€… Des bruits de couloirs qui pourraient bien devenir une cruelle réalité dès le 1er janvier 2009.
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